Assurance-Vie > | Rédigé le 04 février 1997 Assurance-vie : les rendements chutent : Pourquoi l'érosion des performances est irréversible. |
En
annonçant un rendement inférieur à 7% pour la première fois de son histoire,
l'Afer a jeté un pavé dans la marre. Alors qu'il a séduit 530 000 épargnants
et gère plus de 110 milliards de francs, le contrat d'assurance-vie le plus
populaire de France voit sa rentabilié dégringoler. Et il n'est pas le seul.
Sur la quarantaine de contrats qui avaient publié leur taux pour 1996 à fin
janvier, le rendement moyen ressortait à 6,67%, une nette dégradation par rapport
à l'année passée (voir le tableau Rendements nets en 1996 des
dix plus gros contrats). Bien sûr, devant les clients, les assureurs affichent
satisfaction et sérénité : après tout, leurs rendements sont encore confortables
par rapport aux 5,5% des emprunts d'Etat, aux 3,5% du Livret A ou aux 4,25%
des nouveaux Plans d'épargne logement. Derrière cette assurance de façade, le
placement préféré des Français est pourtant entré dans un engrenage infernal.
Victime de son succès, il risque de pâtir triplement de la baisse des taux d'intérêt.
Chute
des taux
Les taux élevés du passé font illusion mais on ne dit pas tout aux épargnants
sur la chute des rendements de l'assurance-vie.
L'équation est simple : l'assurance-vie était une bassine d'eau chaude dans
laquelle on a versé une baignoire d'eau froide. A quelle température se trouve
l'eau aujourd'hui? En termes financiers, le problème est le suivant. Fin 1989,
l'encours des placements des sociétés d'assurance-vie était de 741 milliards
de francs, essentiellement placés en obligations acquises pendant les années
80, dont le rendement moyen était de 11,7%. De 1990 à 1996, l'afflux de souscriptions
et de cotisations s'est traduit par des investissements d'environ 1840 milliards
de francs, dont environ 1400 milliards placés en obligations rapportant en moyenne
7,6%. Les obligations à dix ans achetées avant 1987 ont par ailleurs été remboursées
durant cette période, si bien que les 741 milliards de francs placés avant 1990
ne rapportent finalement que 9,09%. Résultat : les obligations que détiennent
les compagnies d'assurance-vie ont aujourd'hui un rendement moyen de 8%. Certes,
ce taux paraît encore élevé par rapport aux rendements distribués aux assurés,
mais la marge de manoeuvre est en réalité très faible. «Si les taux d'intérêt
restent à ce niveau là, les rendements des contrats en francs vont descendre
entre 4,5% et 5%», explique Hervé Douard, actuaire à la société de conseil Fixage.
On ne dit pas tout aux épargnants sur la baisse des rendements de l'assurance-vie
(voir le tableau Rendement moyen de l'assurance-vie).
Prix
de la sécurité
Les assurés payent sans le savoir le coût des fonds propres et l'érosion
du ratio de solvabilité.
On a parfois tendance à l'oublier, l'assurance-vie n'est pas seulement un produit
d'épargne mais aussi un produit d'assurance, soumis à des règles prudentielles
très strictes. Ce détail est important, car il est à l'origine d'une comptabilité
obscure qui coûte cher aux assurés sans qu'ils le sachent. Pour garantir leur
capacité à rembourser les épargnants quoiqu'il arrive, les compagnies d'assurance-vie
doivent avoir 4% de marge de solvabilité mise de côté sur leurs engagements
vis-à-vis des épargnants. Cette marge de solvabilité est constituée de trois
éléments. D'une part les fonds propres de la compagnie d'assurance, qui appartiennent
à ses actionnaires, d'autre part la réserve de capitalisation et les plus-values
latentes appartenant théoriquement aux épargnants. C'est là que le bât blesse,
car ces plus-values sont fragiles et peuvent s'évaporer en cas de crise obligataire,
comme cela avait été le cas en 1994. «Certaines compagnies utilisent la réserve
de capitalisation dans une proportion trop importante de leur solvabilité, indique
Hervé Douard. Si une compagnie compose sa solvabilité en s'appuyant trop sur
sa réserve de capitalisation, elle est condamnée à ne peut plus réaliser de
moins-values. Si elle y parvient effectivement, elle garde la réserve de capitalisation
pour elle au lieu de la redistribuer aux assurés à qui cette réserve devrait
normalement revenir.» Certains assureurs s'élèvent contre ces pratiques. «La
réserve de capitalisation a été créée pour les assurés, explique Ghislaine Royer,
directrice générale de Guardian Vie. L'utiliser pour financer le ratio de solvabilité,
c'est spolier les assurés.» Au total, on estime que la marge de solvabilité
coûte aux assurés 0,4% à 0,5% de leur épargne par an, en plus des frais de gestion
et des commissions sur souscriptions.
D'autres mécanismes destinés à protéger les assurés peuvent aussi leur pénaliser leur performance. En effet, un mécanisme comptable, appelé provision pour participation aux bénéfices, permet aux assureurs de mettre de côté une partie des revenus financiers destinés aux assurés. «Il s'agit d'une nuance subtile entre la participation attribuée et celle distribuée, explique Ghislaine Royer. Une fois que la compagnie a calculé la masse de revenus financiers à allouer aux assurés, elle peut la répartir entre ces derniers ou en garder une partie en réserve pour la redistribuer dans les huit années à venir. Cette participation peut varier d'une année à l'autre mais les assurés n'ont pratiquement aucun moyen de le savoir.» Ces opérations sont possibles quel que soit le contrat, même pour les plus performants qui promettent 100% de participation aux bénéfices financiers à leurs assurés. «La réglementation des assurances est très imparfaite sur la comptabilité des plus-values d'obligations, commente Bernard Thiriet, responsable de la gestion financière de l'Afer. Le résultat est plus fidèle en montrant aux investisseurs des performances réelles.» C'est une des raisons qui a décidé l'Afer a lancer l'an dernier la Sicav diversifiée Sfer, une unité de compte disponible en option sur le contrat d'assurance-vie Afer.
Risque
de désaffection
Les rendements resteront faibles même si les taux remontent, ce qui pourrait
provoquer des sorties et fragiliser les compagnies.
Puisque l'assurance-vie pâtit de la baisse des taux d'intérêt, on pourrait penser
qu'une remontée des taux règlerait ses problèmes. Au contraire, elle aurait
des conséquences redoutables. «Le risque maximum serait provoqué par une poursuite
de la baisse des taux et de l'afflux de souscriptions en 1997 suivie par une
brutale remontée des taux en 1998», explique Hervé Douard. Les compagnies d'assurance-vie
se retrouveraient alors avec des stocks d'obligations offrant des rendements
inférieurs à ceux disponibles sur le marché. Depuis cinq ans, l'assurance-vie
accapare plus de 50% de l'épargne financière annuelle des Français. Ce rythme
délirant ralentira forcément, et sans doute au plus mauvais moment. Les compagnies
d'assurance-vie ne pourraient plus alors acheter suffisamment d'obligations
à taux élevés pour redresser la rentabilité de leur portefeuille. Les souscripteurs
iraient alors placer leurs économies ailleurs, ce qui ferait moins de cotisations,
ce qui affaiblirait les rendements, etc. On est encore loin d'un tel cercle
vicieux, mais les probabilités ne sont pas négligeables. «Sur les contrats ayant
neuf à dix ans d'existence, le taux de rachat atteint déjà 15% à 20% alors que
les rendements sont encore supérieurs à ceux des obligations», explique Hervé
Douard. Les arbitrages au détriment de l'assurance-vie pourraient s'accélérer
dangereusement si son rendement devenait inférieur à celui des obligations.
Dans une telle éventualité, l'assurance-vie serait non seulement pénalisée par
ses mauvaises performances, mais aussi par sa fragilité financière. La hausse
des taux d'intérêt entraînerait en effet une baisse du cours des obligations
qui risquerait de transformer les plus-values latentes des assureurs en moins-values.
Pour échapper à ces scénarios gris, l'assurance-vie devrait trouver un substitut
aux placements en obligations qui ont fait sa fortune depuis quinze ans. Mais
les Français risquent de changer de placement préféré avant qu'une telle révolution
se produise.
Nom du contrat | Compagnie | Rendement 1996 | Droits d'entrée |
---|---|---|---|
Epargne Retraite 2 | Asac Fapes (AGF) | 7.10% | 3.85% |
Afer | Abeille-SEV | 6.84% | 4.525% |
Compte Actiplus Option 1 | Mutavie (Macif) | 6.80% | 5% |
Retraite Epargne Santé | MAVPS | 6.77% | 3% |
Adif Epargne | Mutuelle du Mans | 6.75% | 5.50% |
Livret Assurance Retraite | ACM | 6.68% | 4.50% |
Compte Libre Croissance 2/3 | GMF Vie | 6.63% | 3% |
Compte Epargne Maaf | Maaf Vie | 6.51% | 5% |
Initiative Transmission | Ecureuil Vie | 6.50% | 4% |
Fructi-Placement | Fructivie | 6.23% | 5% |
Ecureuil Projet | Ecureil Vie | 6.20% | 4.75% |
Source : Gilles Pouzin
Année | Rendement |
Note
: Les contrats d'assurance-vie rapportent de moins en moins |
---|---|---|
85 | 11.97% | |
86 | 10.82% | |
87 | 9.61% | |
88 | 9.32% | |
89 | 9.12% | |
90 | 9.00% | |
91 | 8.96% | |
92 | 8.88% | |
93 | 8.36% | |
94 | 7.73% | |
95 | 7.15% | |
96 | 6.67% |
Source : GAP/Gilles Pouzin