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Rédigé le 8 décembre 1998
Fidelity, géant de l'épargne mondiale :
La société de gestion américaine à la conquête du monde.

Dans la campagne anglaise, à mi-chemin entre Londres et l'entrée du tunnel sous la Manche, Oakhill House est le quartier général de Fidelity International Limited. C'est dans cette propriété isolée, au bout d'une allée de vieux chaînes gardée par des statues orientales, que Fidelity prépare la conquête de l'épargne mondiale.

Avec ses 650 milliards de dollars placés en Bourse, Fidelity est la plus grosse société de gestion de tous les temps. Créée en 1946 par Edward Johnson, la société familiale de gestion de fonds mutuels, l'équivalent de nos sicav, s'est transformée en géant mondial. La petite échoppe de Boston compte aujourd'hui 26 000 employés et 12 millions de clients aux quatre coins du monde. Ce développement fulgurant a permit à Ned Johnson et sa fille Abigail, les deux principaux propriétaires de Fidelity, d'amasser une fortune personnelle de 6,4 milliards de dollars (36 milliards de francs). Comme beaucoup de géants mondiaux, Fidelity a connu ses premiers succès aux Etats-Unis. Mais, aujourd'hui, il surfe sur le raz de marée de la mondialisation.

"Nous avons déjà 1,3 million de clients non-américains pour lesquels nous gérons plus de 55 milliards de dollars", précise d'emblée Barry Bateman, président de Fidelity International Limited. Historiquement, le développement de Fidelity en dehors des Etats-Unis visait d'abord à investir l'argent des épargnants américains sur les Bourses étrangères. Les dirigeants de Fidelity ont créé leur filiale internationale dans ce but, aux Bermudes, en 1969. Ils n'ont ouvert leur premier bureau à Londres qu'une dizaine d'années plus tard. Aujourd'hui, la mondialisation des marchés financiers rend cet axe de développement prioritaire.

Mondialisation des marchés et des entreprises
Qu'il s'agisse de la contagion des crises monétaires asiatiques ou de la course aux fusions des compagnies pétrolières internationales, les marchés financiers sont au premier rang de la mondialisation. Pour profiter de ces grandes manoeuvres Fidelity doit avoir une vision globale de la situation. "Compte tenu des fonds que nous gérons, nous sommes souvent les premiers actionnaires des sociétés dans lesquelles nous investissons", explique John Ross, directeur de la communication sur les investissements.

Tant que la mondialisation est bonne pour les entreprises qui s'unissent, Fidelity leur donne sa bénédiction. "Que ce soit BP-Amoco, Total-Pétrofina, Sanofi-Synthélabo ou Hoechst-Rhône Poulenc, toutes ces fusions ont vocation, d'une façon ou d'une autre, à réduire les coûts pour être plus compétitives, analyse John Ross. L'union monétaire est comme une mini mondialisation. Chaque société reconnaît que son marché domestique n'est plus la France, l'Allemagne ou la Belgique, mais l'Europe."

Il reste quelques zones de nationalisme
Bien sûr, chaque opération doit être analysée au cas par cas, mais John Ross estime que la course à la taille des années 90 est bien plus dynamique que celle de la décennie précédente. "Il y a dix ans, les conglomérats avaient une stratégie de diversification, explique-t-il. Peter Lynch, un gestionnaire célèbre de Fidelity, appelait cela de la dipirsification, car c'était souvent pire pour les entreprises que si elles n'avaient rien fait. Aujourd'hui, c'est exactement l'opposé. Les sociétés se concentrent sur leur métier de base. Par exemple, Sanofi fusionne avec un autre laboratoire pharmaceutique plutôt que de se faire acheter par un groupe chimique." Il reste néanmoins quelques zones de nationalisme dans lesquelles Fidelity appelle la mondialisation de tous ses voeux. "Nous aimerions voir des fusions bancaires en France et en Allemagne comme il y en a eu en Scandinavie", glisse John Ross. Un espoir peut-être prémonitoire.

Une veille omniprésente sur les marchés
Pour faire de bons placements, Fidelity n'investit pas ses 3700 milliards de francs au hasard. La mondialisation rend le travail de ses gestionnaires beaucoup plus compliqué qu'avant. "Les sociétés ne se battent plus pour leur marché local mais avec leurs concurrents internationaux, poursuit John Ross. Un analyste ne peut pas se faire une opinion sur une société en rencontrant seulement son président dans son pays d'origine." Pour faire face à cette complexité, Fidelity multiplie les recoupements d'information. Entre fournisseurs et clients, par exemple. Si British Steel déclare avoir plus de commandes des constructeurs automobiles c'est peut-être bon signe pour ces derniers. Et réciproquement. Si les constructeurs prévoient de vendre plus de voitures il faut rechercher les fournisseurs qui en profiteront le plus. Pour certaines analyses très poussées, Fidelity commande même des études à des consultants spécialisés, par exemple dans les forages pétroliers ou les microprocesseurs.

Mais il fallait plus que cela pour affronter la mondialisation des entreprises. Il fallait une force mondiale capable de suivre 24 heures sur 24 la bataille que se mènent les géants d'un secteur depuis leurs différentes bases nationales. Fidelity a donc réorganisé ses bureaux d'études dans le monde entier avec la même structure. Chaque équipe, à Boston, Londres, Hong Kong ou Tokyo, se répartit les sociétés selon sept grands secteurs: la consommation, la santé, les ressources naturelles, les services publics, les industries cycliques, la technologie et la finance.

Tous les analystes couvrant un même secteur depuis les différentes antennes de Fidelity comparent maintenant leurs données et leurs opinions sur ces multinationales tentaculaires. "Nous avons un réseau de communication mondial instantané, proclame Barry Bateman. Quand une société nous rend visite à Londres, les analystes de Boston posent leurs questions par vidéoconférence. Quand un fabricant de pneus dit à un analyste que les ventes chutent en Grande Bretagne, ce dernier laisse un message au spécialiste de Nissan qui commence sa journée au Japon quand il est minuit ici."

Pour encourager la circulation de l'information et le partage d'idées, Fidelity confie à chaque équipe d'analystes une somme d'argent à investir dans son secteur au niveau mondial. 10% du bonus des analystes dépendent de la performance de ce fonds d'investissement sectoriel. Si ces sicav expérimentales fonctionnent bien, Fidelity les ouvrira probablement aux petits épargnants pour collecter quelques milliards de plus.

Contre-pouvoir
Le succès appelant le succès, les capitaux gigantesques gérés par Fidelity en ont fait un interlocuteur très respecté par les géants mondiaux en quête de capitaux. "Il y a dix ans, les entreprises européennes nous connaissaient à peine et ne nous recevaient pas, se souvient Barry Bateman. Il y a cinq ans, elles étaient plus ouvertes et commençaient à venir nous voir. Maintenant nous recevons une vingtaine d'entreprises chaque jour, ici à Londres, et nous manquons de salles de réunion." Les quelque cinquante analystes et gestionnaires du bureau de Londres suivent ainsi près de 1900 sociétés européennes qu'ils rencontrent en moyenne trois fois par an, ce qui fait près de 5 000 réunions par an. Pour maintenir la cadence, Fidelity se fait construire un nouvel immeuble de 11 000 mètres carrés de bureaux dans l'un des quartiers les plus prisés de la capitale Britannique, près de la cathédrale Saint Paul.

Les entreprises elles-mêmes apprécient ce regard extérieur sur leur stratégie. Selon une étude de Tempest Consultants, les plus grosses sociétés européennes apprécient la connaissance que les analystes de Fidelity ont de leur société, la qualité de leurs questions et ce qu'ils retirent de ces réunions. "Nous ne disons pas aux dirigeants comment ils doivent gérer leur entreprise, précise John Ross. Mais si ils nous demandent ce que nous pensons de leur stratégie d'acquisition, nous le leur disons."

A l'inverse, les sommes investies par Fidelity en font un contre-pouvoir important à la folie des grandeurs de ces entreprises géantes. "Nous agissons de façon responsable en matière de gouvernement d'entreprise, confie Barry Bateman. Nous avons des règles car nous pensons que les sociétés doivent être gérées dans l'intérêt de leurs actionnaires. Si les dirigeants d'entreprises les respectent, nous votons pour eux aux assemblées générales d'actionnaires. Autrement, nous votons contre. Nous essayons de régler ces questions en privé, mais il nous arrive de temps en temps de faire une campagne publique quand c'est nécessaire." Tous les géants ont leurs principes.

La conquête de l'épargne mondiale
La mondialisation de Fidelity ne serait pas complète si il se contentait d'investir l'argent des Américains à l'étranger. "La moitié de notre activité consiste à investir l'argent de nos clients mondialement, admet Barry Bateman. Mais la seconde moitié de l'équation est qu'il faut collecter des capitaux, si l'on veut les gérer." Depuis quelques années, Fidelity est donc parti à la conquête des petits épargnants du monde entier. L'idée est simple: gérer deux fois plus d'argent ne coûterait pas deux fois plus cher alors que cela rapporterait deux fois plus de commissions. "Distribuer nos fonds dans autant de pays que possible génère des économies d'échelle extraordinaires", résume Barry Bateman, réjouit par les perspectives vertigineuses d'une telle multiplication.

Il est vrai que la gestion de fonds d'investissements semble l'une des activités les mieux disposées pour profiter de la mondialisation. "On peut fabriquer une sicav au Luxembourg, la gérer à Londres et l'exporter à Hong Kong sans aucun frais de transport", s'émerveille Barry Bateman.

Des antennes dans les pays européens
Aussitôt dit, aussitôt fait. En 1990, Fidelity crée une sicav luxembourgeoise à compartiments, c'est à dire une sicav composée d'une multitude de fonds différents. Puis, au fur et à mesure la société ouvre des antennes commerciales dans les pays européens les plus prometteurs. En Allemagne en 1991, puis en Autriche, en Suisse et aux Pays-Bas. En France en 1994, en Scandinavie en 1996, en Espagne début 1998, et probablement en Italie l'an prochain. Aujourd'hui, la sicav luxembourgeoise de Fidelity compte une cinquantaine de fonds différents et gère près de 10 milliards de dollars.

L'idée d'un marché mondial des placements financiers est séduisante mais elle se heurte encore à quelques obstacles. Pour des raisons monétaires, linguistiques, réglementaires ou simplement culturelles, les épargnants achètent les placements de leur pays. Les Français préfèrent les sicav de droit français, les Anglais veulent des unit trusts et les Américains investissent dans des mutual funds. Ces fonds peuvent avoir exactement les mêmes caractéristiques financières et les mêmes performances, les consommateurs réclament leur emballage local.

Visionnaire ou doux rêveur?
Jusqu'à maintenant, Fidelity a du mal à surmonter cette réticence, surtout en France. Mais l'euro pourrait faire tourner sa chance. "La France est le marché le plus dur d'Europe, avoue Barry Bateman. Mais nous sommes déjà numéro trois en Grande Bretagne, nous espérons être parmi les cinq premiers en Allemagne dans les dix ans qui viennent et nous pouvons le faire aussi au Japon. Le potentiel est là, nous avons les capacités en place et nous sommes ambitieux, prévient-il. Notre objectif est de gérer 500 milliards de dollars d'épargne non-américaine d'ici huit à quinze ans." Ses partisans le traitent de visionnaire et ses concurrents de doux rêveur. Mais aucun d'eux n'avait prévu que Fidelity gérerait 90 fois plus d'argent aujourd'hui qu'en 1981.

Gilles Pouzin


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