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Rédigé le 11 juin 1997
Trois stratégies pour cet été :
Les paris possibles après la victoire de Jospin.

Tout devait se dérouler sans surprise, la droite devait conforter sa majorité pour cinq ans, les marchés n'avaient pas une once d'inquiétude à la veille des élections. Trois jours avant le premier tour, l'indice CAC 40 affichait avec arrogance son plus haut niveau jamais atteint en séance, à 2800 points. Puis tout a basculé, pas comme on l'imaginait. La menace d'un retour de la gauche a fait plonger la Bourse de 7,5% entre les deux tours, mais la victoire de Lionel Jospin l'a finalement propulsée en deux semaines sur de nouveaux sommets inespérés.

Tout n'est pas rose
Les sceptiques contemplent cette euphorie contre nature en se demandant quelle mauvaise nouvelle guette le Palais Brongniart au tournant de l'été. Certains professionnels, pessimistes, se fixent ainsi un objectif de 2600 points pour le CAC 40 à la fin de l'année. Quelques mesures prévues par le gouvernement font effectivement planer un risque de déstabilisation sur le marché. Le dérapage de la construction européenne serait évidemment une bombe pour le CAC 40. A trop vouloir interpréter « en tendance » les critères de Maastricht, l'Allemagne pourrait se raidir. Entraînant une crise monétaire européenne, et la remontée des taux d'intérêt. Mais les marchés redoutent aussi une hausse trop rapide des salaires. « Jusqu'à 4 ou 5% de hausse du SMIC, c'est supportable pour les entreprises cotées. Au-delà, ce n'est pas absorbable sur un seul exercice », explique Jérôme Labin, analyste à la société de Bourse Pinatton. En effet, une hausse de 5% du Smic amputerait d'environ 3% les bénéfices de entreprises, ce qui semble supportable. Quant à la réduction de la durée du travail, tout dépendra de ses modalités d'application.

Et si ça montait?
Achetez au son du canon, vendez au son du violon, dit un proverbe boursier. Si le risque de mauvaises nouvelles est une menace pour la Bourse de Paris, il suffit qu'elles ne se réalisent pas pour que cette dernière reprenne de l'altitude. «Il y a beaucoup de liquidités prêtes à s'investir, explique Gilles Sion, gestionnaire de la sicav Athéna investissement. Quand beaucoup de gens attendent qu'il y ait un creux pour acheter, il n'y a pas de creux.» Une opinion que partage Jérôme Labin, qui n'a pas changé ses objectifs depuis les élections : 2970 points pour le CAC à la fin de l'année, et 3400 points en mai prochain. La raison de son optimisme ? L'Europe, qui empêche les gouvernements de mener des politiques de déficit budgétaire ou d'entrave à la concurrence. «Les pouvoirs nationaux sont devenus des pouvoirs locaux. On vient d'élire l'équivalent du Gouverneur de l'Oklahoma », explique-t-il. Même son de cloche à Londres chez Christina Klein, gérante d'actions françaises chez Deutsche Morgan Grenfell : « Il faut analyser encore plus la valeur fondamentale de chaque entreprise. Nous n'avons pas changé de stratégie après les élections, nous pensons juste que les restructurations seront un peu plus longues dans les entreprises.»

Se tenir à une stratégie quoi qu'il arrive semble en effet la meilleure façon de ne pas se faire prendre à contre courant par des fluctuations boursières de court terme erratiques et imprévisibles. «Prétendre entrer et sortir du marché au bon moment est impossible quand on voit ses réactions. Notre discipline consiste à investir dans des valeurs de qualité et à les garder quoi qu'il arrive», explique Christian Bito, directeur de la gestion de la banque Rothschild, dont la sicav Elan Sélection France a été seconde au mois de mai. Même s'ils ont parfois fait quelques paris sur les élections, les gestionnaires qui ont eu les meilleures performances sur cette période les doivent surtout au choix de leurs valeurs.

Que faut-il acheter ?
- Pour profiter de la hausse du dollar et de la croissance mondiale
Priorité aux blue chips, c'est à dire les plus grosses et les plus belles entreprises de la cote. Les valeurs fortement internationalisées, leaders sur des marchés concurrentiels, seront toujours à l'honneur. « Nous apprécions toujours les valeurs globales, restructurées, dont le management est influencé par les anglo-saxons, comme les compagnies pétrolières, explique Richard Webb, gérant d'actions françaises de Flemings à Londres. Parmi ces grosses multinationales les valeurs pétrolières bénéficient en effet d'une attention particulière. «La restructuration va se poursuivre chez Elf, explique Gilles Sion. Les compagnies pétrolières européennes, et françaises en particulier, sont en retard par rapport aux américaines. Elf et Total représentent 14% de l'indice CAC 40, on peut en mettre plus que cette proportion dans son portefeuille.»

- Pour profiter de la reprise économique française en pariant sur une relance de la consommation
Les valeurs qui ont le plus profité de la victoire de la gauche sont celles liées à la consommation, en particulier dans le secteur de la distribution. Carrefour a par exemple gagné 16% en deux semaines, et affiche un gain de 27% depuis le début de l'année. A ce niveau, beaucoup de gestionnaires trouvent le secteur de la distribution surévalué. Mais cette réaction s'observe surtout chez ceux qui se sont régulièrement trompés en prédisant la chute. «Il ne faut pas regarder la hausse passée, mais les perspectives futures, explique Christian Bito. En l'occurrence, le potentiel de croissance de Carrefour est intacte. On peut encore l'acheter aujourd'hui.» Les sociétés qui produisent des biens de consommation sont aussi appréciées. « La Bourse s'est servie un peu du prétexte de la relance de la consommation, explique Jérôme Labin. Mais ces actions ont aussi une croissance très régulière à l'international. Ce très bon mélange se retrouve aussi chez L'Oréal ». Les valeurs fortement internationalisées ou celles à plus forte valeur ajoutée comme dans les secteurs du luxe, des cosmétiques ou de la distribution spécialisée, sont donc à privilégier. En dehors de Carrefour et de l'Oréal, les analystes recommandent de s'intéresser à Promodès Pinault Printemps Redoute, Castorama, Clarins ou LVMH.

Les producteurs de biens de consommation alimentaires devraient bénéficier de la baisse prévue de la TVA sur les produits de première nécessité (de 5,5% à 5%). Un bon point pour Eridania ou Danone. Raison de plus pour les acheter, les valeurs agro-alimentaires sont traditionnellement « défensives », c'est à dire moins soumises aux aléas des marchés.

- Pour parier sur les sociétés dont le cours a été trop pénalisé par l'arrivée de la gauche
Certes, l'arrivée des socialistes n'apporte pas que des bonnes nouvelles pour toutes les entreprises. Certaines, notamment les valeurs du BTP, sensibles à la hausse du SMIC et à l'abandon de certains grands projets, risquent d'être affectées par la nouvelle politique. L'arrêt des privatisations plombe également le secteur de la défense, qui devait se recomposer avec la privatisation de Thomson et de Dassault-Aérospatiale. D'autre part, l'arrêt de certains grands projets, comme l'autoroute A 51 a aussi déjà fait plonger les valeurs routières. Les valeurs automobiles sont particulièrement exposées aux conséquences d'une baisse du temps de travail sans baisse de salaire. Et les valeurs bancaires, portées ces derniers mois par des espoirs de déréglementation du secteur au profit des banques commerciales, semblent touchées. Mais là aussi, la Bourse exagère peut-être les mauvaises nouvelles. «Le cours des actions bancaires a été trop fortement pénalisé, estime ainsi Marc Tournier, gestionnaire du fonds Ulysse, chez Tocqueville Finance. La BNP et la Société générale vont avoir de bons résultats et sont à des cours d'achat.» La chance sourit aux audacieux.

Gilles Pouzin


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