Bourse de Paris > |
Rédigé le 17 octobre
1995 |
Rien ne va plus, faites vos jeux... Depuis l'élection présidentielle, la roulette de la Bourse de Paris tourne à l'envers: les promesses déçues ont fait chuter les actions françaises de 20% en cinq mois. Le moral est au plus bas. Entre crises politico-judiciaires, fractures sociales et désarroi des attentats, l'économie replonge dans le marasme, les déficits publics se creusent et le franc fort ne résiste qu'au prix d'une hausse des taux d'intérêt qui asphyxie la croissance. La publication de mauvais résultats semestriels n'a fait qu'aggraver ce climat délétère.
Nouvelles
mesures exceptionnelles
Les déceptions ont commencé par une série de rechutes. Par rapport aux six premiers
mois de 1994, les profits des six premiers mois de 1995 sont en baisse de 17%
chez Pernod Ricard, 21% chez Chargeurs, 34% à Canal Plus et 53% aux AGF. La
BNP sauve la face grâce à des reprises sur provisions, mais son résultat brut
d'exploitation plonge de 25%. L'inquiétude s'est amplifiée avec un train inattendu
de nouvelles mesures exceptionnelles: empêtrés dans la crise immobilière, le
Crédit Foncier et Suez passent respectivement 1,3 milliard et 4 milliards de
francs de provisions supplémentaires. Enfin, bouquet final: Serge Tchuruk, le
nouveau président d'Alcatel Alsthom, amputera son résultat de 20 milliards de
francs en 1995 pour éponger les erreurs du passé. Au total, selon le consensus
établi par le cabinet Associés en Finance, le profit global des entreprises
de l'indice CAC 40 ne progresserait plus que de 4,7% en 1995, alors que les
analystes tablaient encore sur 39,4% de croissance il y a six mois. Bref, tout
va mal. Les gestionnaires d'actions françaises souffrent de leurs mauvaises
performances et voient l'avenir toujours plus sombre. L'envers du décor laisse
pourtant apparaître quelques lueurs d'espoir.
Première raison de ne pas désespérer: il existe encore des sociétés en bonne santé. «Les valeurs de distribution alimentaire, comme Docks de France et Guyenne Gascogne, affichent des résultats conformes ou supérieurs aux prévisions, se réjouit Patrice De Larrard, directeur de la gestion au Crédit agricole. Bis et Ecco ont aussi connu de bons résultats dans le travail temporaire, de même qu'Euro-RSCG et Publicis dans la publicité.» C'est en misant sur l'industrie des services que la sicav Invesco Actions Françaises s'est hissée en tête du classement. «Nous avons investi 27% de la sicav dans le secteur des services, alors que ce dernier ne représente que 10% de la Bourse de Paris», explique Jean-Baptiste de Franssu, directeur général d'Invesco France. Parmi ses valeurs de prédilection on compte Canal plus, Pinault Printemps et la Sodexho. Un choix sectoriel salutaire. «L'investisseur qui aurait évité les financières depuis 1990 aurait gagné 60% de plus que la moyenne des valeurs françaises», confirme Markus Rösgen, european strategist chez Morgan Stanley. Pour ce dernier, le second atout de la Bourse de Paris est la richesse des entreprises françaises.
140
milliards de cash-flow
A force de ne pas investir et de parer au pire, les entreprises de l'Hexagone
ont mis énormément d'argent de côté. «Avec une capacité d'autofinancement globale
de 140 milliards de francs, les entreprises sont devenues épargnantes nettes
dans l'économie française pour la première fois depuis 1938», explique Jean-Paul
Pierret, directeur des études à la société de Bourse Dupont-Denant. «Parmi les
sociétés qui ont déçu au premier semestre on remarque par exemple que Valéo
a multiplié sa trésorerie par six depuis 1989, à 1,8 milliard de francs, tandis
que Lafarge a réduit son ratio dette sur fonds propres de 66% en deux ans.»
Cette dernière est sur sa liste de recommandations. Parmi les sociétés à forte
marge d'autofinancement repérées par Morgan Stanley, on remarque les valeurs
d'agro-alimentaire LVMH, Bongrain, Danone et Saint Louis.
La trésorerie n'est pas le seul atout qui rend les valeurs françaises attractives. «Avec un rapport cours sur actif net de 1,4, la France est l'une des Bourses les moins chères parmi les grands pays industrialisés et la reprise pourrait aller très vite le jour où les incertitudes s'atténueront», explique Robert de Guigné, gestionnaire à la banque State Street. Du coup les sicav d'actions internationales de State Street sont deux fois plus investies en actions françaises que ce que requiert leur pondération normale dans un portefeuille international. Leurs faveurs vont notamment à Elf et sa filiale Sanofi, deux valeurs qui figurent également sur la liste d'achat de Goldman Sachs.
Les sociétés françaises seraient donc plus riches que leurs faibles profits ne le laissent penser. Les plus cyniques n'hésitent pas à voir dans cette "évaporation des bénéfices" une mesure d'optimisation fiscale en réponse à la hausse de l'impôt sur les sociétés. Lafarge, qui n'a pas fait de pertes depuis longtemps, ne paye ainsi que 26% d'impôts sur ses bénéfices. «La faculté d'adaptation des sociétés françaises est considérable, reconnaît Alain Hindié, directeur de la gestion au Crédit lyonnais. Les restructurations ont permis d'abaisser les seuils de rentabilité en période de crise. D'autres restructurations, fusions et rapprochement vont inévitablement se produire.» A ce titre, l'OPA de 7,7 milliards de francs de General Electric sur la Sovac, avec une prime de 67% par rapport au dernier cours coté, est un encouragement pour la Bourse de Paris. Puisse-t-elle réveiller l'argent qui dort dans les coffres des entreprises françaises.