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Rédigé le 13 février 1997 |
Osez et inscrivez votre nom parmi les entreprises performantes
de notre pays. Le slogan de la Bourse de Paris est clair : la vocation des entreprises
privées est d'y être cotées. L'incantation n'est pas superflue,
car les entrepreneurs français évitent encore plus la Bourse que
les épargnants.
Une
capitalisation boursière d'au moins 1 500 milliards de francs
Sur plus de 700 000 entreprises recensées
dans l'Hexagone, à peine plus de 700 sont cotées au Palais Brongniart,
soit une pour 100 000 c'est à dire 0,001%. Bien sûr, il est inconcevable
de faire coter toutes les micro-entreprises. En revanche, il est étonnant
que les dizaines de fleurons que nous avons identifiés ne se tournent
pas vers les marchés financiers pour donner une nouvelle envergure à
leurs ambitions (voir le tableau Success-stories non cotées).
Et elles ne sont pas les seules. Selon les dernières estimations de la
Société des Bourses françaises, la SBF, il y aurait en
France environ 5 000 entreprises dignes de s'introduire sur le second marché,
et 1 400 éligibles au Nouveau Marché, destiné aux entreprises
en forte croissance.
Selon nos projections, ce vivier pourrait totaliser une capitalisation boursière d'au moins 1 500 milliards de francs. Si elles étaient toutes en Bourse, le poids des entreprises cotées passerait de 40% à 60% de la richesse nationale, faisant enfin entrer la France dans une économie reposant majoritairement sur le capitalisme par action. Le potentiel est énorme, mais pas autant que les réticences des patrons privés.
Crainte
de perdre le contrôle de son entreprise
Notre liste de success-stories non cotées
est l'archétype du capitalisme familial dont le refus d'aller en Bourse
reste pour l'instant quasi-unanime. Beaucoup de patrons-propriétaires
ont créé ou développé leur société
à la sueur de leur front et n'ont pas l'intention de partager maintenant
le fruit de leur labeur. "Une des raisons, pour laquelle beaucoup de patrons
ne veulent pas partager leur entreprise avec qui que ce soit, est qu'ils sont
convaincus qu'elle vaudra plus cher demain", explique Yannick Petit, directeur
général adjoint du Nouveau Marché précédemment
en charge des relations avec les émetteurs à la SBF.
La symétrie de cet optimisme pourrait être la crainte de perdre le contrôle de son entreprise, un destin effectivement assez probable pour les patrons qui mettent leur affaire en Bourse. Sur les 500 introductions qui ont eu lieu au second marché depuis sa création, près de 150 sociétés ont quitté la cote à l'occasion d'un rachat ou d'une fusion (voir le tableau Dix sociétés performantes ayant quitté la cote depuis 1 an). Mais les actionnaires d'origine ont souvent accueilli ou sollicité eux-même ces propositions amicales. "La perte d'indépendance est un vieux démon, il persiste encore chez les patrons âgés qui craignent de perdre le contrôle en ouvrant 10% de leur capital, mais la plupart des chefs d'entreprise ont compris qu'ils restaient maîtres à bord tant qu'ils gardaient 51% du capital", explique Yannick Petit.
40%
des entreprises ne publient pas leurs comptes
Perdre le contrôle de l'information préoccupe
bien plus les patrons que le risque d'OPA. Pour éviter tout malentendu
sur ce point, la SBF rappelle dans ses prospectus que "s'introduire en
Bourse c'est se fixer un double challenge : être performant et transparent."
Une précision plus que nécessaire quand on sait que 40% des entreprises
inscrites au registre du commerce de Paris ne publient pas leurs comptes. Il
faut dire que cette infraction est moins sanctionnée que le stationnement
interdit, ce qui nourrit le culte du secret.
Plus du quart des trente fleurons non cotés que nous avons recensés ne publient pas leurs résultats. Beaucoup souhaitent ainsi cacher leur fortune. D'autres invoquent la crainte de subir des pressions de la part de leurs clients, de leurs fournisseurs... ou de leurs employés. A l'inverse, être cotée et publier ses comptes est parfois une condition sine qua non pour traiter avec des partenaires étrangers. "Il nous est arrivé de rater un contrat quand nous n'étions pas cotés parce que le client était plus tranquille avec une société cotée, dont la pérennité et la solidité financière est automatiquement plus crédible", explique Yves Audebert, directeur général et co-fondateur d'Activ Card, une société de sécurité informatique récemment introduite en Bourse (voir le tableau Les récentes introductions en Bourse).
Des
inconvénients...
Au delà d'un penchant naturel pour le
secret, les éventuels candidats à la Bourse craignent tout simplement
de ne pas pouvoir faire face, matériellement, au surplus de contraintes
que cela leur imposerait. Il est vrai que l'information des actionnaires apporte
son fardeau de procédures, de la publication du rapport annuel à
l'organisation d'assemblées générales de plusieurs centaines
de personnes en passant par les relations avec la presse et les analystes financiers.
D'après l'étude de Coopers & Lybrand, c'est l'aspect négatif
le plus souvent mentionné par les sociétés récemment
introduites en Bourse : 41% trouvent la politique de communication exigeante,
25% y voient un surcroît de travail et 18% une augmentation de coûts.
Ouvrir son capital au public présente enfin des inconvénients fiscaux. Pour les grands groupes en premier lieu, qui ne peuvent pratiquer l'intégration fiscale que s'ils possèdent plus de 95% du capital de leurs filiales. Mais aussi pour les actionnaires d'entreprises familiales. En effet, seuls ceux qui détiennent plus de 25% du capital peuvent échapper à l'ISF en déclarant leur part comme un outil de travail. Pour les autres minoritaires, la cotation est souvent un frein, car elle rend impossible toute sous-évaluation à l'égard du fisc, qui se base sur les cours de Bourse. A l'inverse, faire coter les titres d'une société permet d'organiser plus facilement sa succession et d'en réduire l'imposition, notamment par des opérations de démembrement de propriété.
...
mais surtout des avantages
En écoutant les arguments des récalcitrants, on finit presque
par se demander si les entreprises ont vraiment un intérêt à
s'introduire en Bourse. Que ceux qui en doutent soit rassurés, la supériorité
des entreprise cotées est indiscutable. Sur les cinq plus grosses entreprises
cotées en France, quatre sont des groupes à capitaux familiaux,
ou verrouillés, qui ont conquis leur titre de multinationale grâce
à la Bourse. Dans l'ordre de taille, L'Oréal affiche aujourd'hui
une valeur boursière de 133 milliards de francs, suivie par Carrefour
(129 milliards), LVMH (124 milliards) et AXA (115 milliards). Parmi les autres
groupes privés qui peuvent se féliciter d'être venus en
Bourse on compte aussi Accor, Michelin, Bouygues ou Pinault-Printemps Redoute,
ainsi que la kyrielle de success-stories du second marché qui ont démultiplié
leur envergure depuis leur ouverture au public. A long terme, être coté
présente plus d'avantages que d'inconvénients (lire encadré
Quatre bonnes raisons de se faire coter en Bourse).
Le premier avantage est de valoriser sa société. "La vraie motivation pour beaucoup de patrons est de rendre leur patrimoine plus liquide, analyse Yannick Petit. A ce titre, l'intérêt de la cotation est qu'en mettant le minimum réglementaire de 10% sur le marché ils obtiennent une valorisation globale pour les 90% qui leur restent." Mais ouvrir son capital ne doit pas seulement servir aux actionnaires à récupérer de l'argent en vendant quelques actions. C'est aussi un moyen pour l'entreprise elle-même de diversifier ses sources de financement, car ses actions deviennent une monnaie qu'elle a le pouvoir de créer pour collecter des fonds (par augmentation de capital) ou pour faire de la croissance externe (en échangeant une part de ses propres actions contre celles de la société absorbée).
La
nouvelle génération de patrons y voit plus une chance qu'un échec
Ce courant est encore minoritaire mais tend
à se développer. "Près d'une entreprise sur trois
s'introduit en Bourse par le biais d'une augmentation de capital, alors qu'elles
étaient moins d'une sur dix il y a trois ans", explique Marie-Ange
Verdickt, responsable de la prospection et des relations avec les entreprises
cotées à la SBF. Selon un étude du cabinet d'audit Coopers
& Lybrand, les entreprises récemment introduites n'exploitent pas
toutes les possibilités de la Bourse : 80% d'entre elles n'ont fait aucun
appel au marché dans les trois ans suivant leur ouverture au public.
La nouvelle génération semble cependant plus ambitieuse. "Nous
avons décidé que la Bourse de New York nous permettrait davantage
de lever les fonds dont nous avons besoin pour assurer le développement
de notre activité", explique Marc Sillam, directeur général
d'AB Production, qui s'est introduite directement sur le New York Stock Exchange,
le premier marché de la planète. "Quand on dirige une entreprise,
il faut faire des choix stratégiques", conclut-il.
Abandonner le contrôle absolu de son entreprise pour n'en garder que quelques pourcents est une décision qui peut paraître douloureuse pour son fondateur. La nouvelle génération de patrons dynamique y voient pourtant plus une chance qu'un échec. "Il est toujours un peu frustrant d'avoir des idées et de ne pas pouvoir les développer par manque de moyen, explique Yves Audebert qui ne possède plus que 10% d'Activ Card depuis son introduction sur l'Easdaq, un marché pour les entreprises européennes en forte croissance. Nous avons créé cette société il y a dix ans. Maintenant que la période de galère est passée et que nous entrons dans la phase la plus intéressante, mon objectif n'est pas de prendre ma retraite mais de développer la société. Il est quand même plus satisfaisant de se dire qu'on peut faire les produits que l'on a conçu." Grâce à la perspective de l'introduction en Bourse, Activ-Card est passé de 35 salariés à une centaine aujourd'hui. "On sent qu'un tournant a été franchi par les entreprises qui opèrent sur des marchés mondiaux, résume Jean-Pierre Geremy, de la société financière Hambrecht & Quist Saint Dominique. Les nouveaux entrepreneurs ne raisonnent pas en contrôle immédiat, mais en valeur future." Si autant de patrons français ne voient pas l'utilité d'aller en Bourse, c'est peut-être aussi par manque de projets.
Quatre
bonnes raisons de se faire coter en Bourse
1-Diversifier son patrimoine.
Introduire son entreprise en Bourse permet
de concrétiser sa plus-value et de faciliter sa succession en assurant
la pérennité de l'entreprise.
2-Conforter son développement.
Une entreprise cotée peut se financer de multiples façons
sur les marchés financiers et payer ses acquisitions avec ses propres
actions.
3-Améliorer l'image de l'entreprise.
La société améliore la reconnaissance de ses marques
et renforce ses relations avec ses partenaires. La cotation est un label de
qualité reconnu à l'étranger.
4-Motiver ses salariés.
L'embauche de cadres de haut niveau peut être réalisée
même dans des zones éloignées.