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Rédigé
le 30 avril 1999 |
Si forts, si riches, si lointains, et pourtant vulnérables.
Les pays développés semblent à première vue les
moins touchés économiquement par la guerre des Balkans. Pourtant,
une poignée d'entre-eux sont trop impliqués, comme les membres
de la force alliée, ou trop proches, comme l'Italie et la Grèce,
pour que leur économie sorte du conflit sans une égratignure.
Si la guerre ne dépasse pas le stade des frappes aériennes, elle n'aura probablement qu'un impact mineur sur les pays développés. "Les différentes estimations en vigueur évaluent le coût de la guerre entre 50 et 500 millions de dollars par jour", observe Holger Schmieding, économiste chez Merrill Lynch. En retenant un coût moyen de 200 millions de dollars par jour, il estime que trois mois de bombardements coûteraient 0,12% de leur PIB aux pays de l'Otan. Selon les calculs d'Eric Chaney, économiste chez Morgan Stanley, une opération de maintient de la paix au Kosovo, après un éventuel retrait des Serbes, coûterait, lui aussi, autour de 0,1% de PIB (voir interview Le coût de la guerre).
Bien que ces coûts paraissent modestes à l'échelle des pays les plus riches, les effets de la guerre touchent déjà leurs points les plus sensibles. Le commissaire européen chargé du tourisme, Christos Papoutsis, a ainsi déclaré que la crise du Kosovo avait de graves conséquences pour l'industrie du tourisme, en Grèce et en Italie. Au sud de la cote adriatique italienne, en face des Balkans, les réservations seraient déjà en chute de 40% pour la saison estivale. Au total, les recettes touristiques italiennes pourraient reculer de 10% cette année, ce qui représenterait une perte de pratiquement 20 milliards de francs pour le pays. En Grèce, le chiffre est moins précis mais l'inquiétude aussi grande. De nombreux touristes Américains ont déjà annulé leurs vacances dans le nord de l'archipel. Compte tenu des autres effets de la guerre sur l'économie grecque, notamment sur le commerce, sa croissance pourrait ralentir de 0,5%, pour redescendre autour de 3% cette année.
Depuis le début de la guerre, la plupart des économistes n'ont pas cru à une escalade incontrôlée ou à une extension du conflit dans la région. Pour parer à toute éventualité ils ont néanmoins tenté d'en évaluer l'impact économique. La seule référence récente dont les experts disposent est la guerre du Golfe, qui avait commencé par des bombardements et s'était terminée par l'engagement de 500 000 soldats américains et de 160 000 combattants européens sur le terrain. Cette guerre avait coûté 61 milliards de dollars aux Américains, mais ils s'étaient fait rembourser 54 milliards de dollars par les pays du Golfe, le Japon et l'Allemagne. "Sur cette base, un conflit terrestre de six mois coûterait autour de 80 milliards de dollars", estime Gavyn Davies, économiste chez Goldman Sachs. Cette fois-ci, près des trois quarts de la facture (environ 360 milliards de francs) seraient probablement payés par les membres de l'Union européenne (voir interview Le coût de la guerre).
Ce coût accroîtrait les déficits budgétaires, mais c'est surtout sur le moral des consommateurs que la guerre aurait le plus fort impact. "L'engagement des troupes terrestres avait clairement altéré la confiance des consommateurs pendant la guerre du Golfe, remarque Eric Chaney. Cette fois-ci ce serait les consommateurs européens qui s'inquiéteraient le plus de voir leurs soldats partir au combat." Pour l'instant, cette hypothèse semble pourtant s'exclure d'elle-même, compte tenu de ses risques élevés. "Il n'y a pas d'intérêt économique vital en jeu dans les Balkans, explique Gavyn Davies. Evidemment, il y a des enjeux moraux et humanitaires importants, mais rien sur le front économique qui soit aussi contraignant que l'approvisionnement énergétique qui justifiait la guerre du Golfe." Selon lui, le rapport coûts/avantages de la guerre du Kosovo ressemblerait plus à celui de la guerre du Vietnam qu'à celui de la guerre du Golfe, ce qui suffirait en soit à dissuader l'engagement terrestre des occidentaux.
Le
coût de la guerre:
Interview
d'Eric Chaney, économiste à la banque Morgan Stanley.
Combien
peut coûter la guerre des Balkans?
Si la mission de l'Otan se limitait à
une opération de maintient de la paix, avec environ 100 000 hommes, son
coût serait inférieur à 5 milliards d'euros. A l'autre extrémité,
si l'Otan envoyait une force de 300 000 hommes pour libérer le Kosovo,
le coût annuel d'une telle opération avoisinerait 75 milliards
d'euros, dont 55 milliards à la charge de l'Union européenne,
ce qui avoisinerait 0,7% de son PIB.
Quelles
seraient ses conséquences économiques?
Dans le cas d'un engagement terrestre, la confiance
des consommateurs chuterait, entraînant avec elle celle des industriels.
Au total, la guerre amputerait la croissance économique de 0,8% et le
déficit budgétaire de certains pays dépasserait 3%.
Quel
serait son impact sur les marchés?
Le conflit actuel entraîne déjà
une tension sur les taux d'intérêt européens et un affaiblissement
de l'euro. Une guerre longue et coûteuse aggraverait cet impact et ferait
baisser les actions, qui sont très sensibles à un ralentissement
de la croissance.
Investissements directs étrangers dans les Balkans, en millions de dollars.
Année/Pays |
Albanie | Bosnie | Bulgarie | Croatie | Hongrie | Macédoine | Roumanie |
1992 |
32 |
n.d. |
42 |
13 |
1500 |
0 |
73 |
1993 |
45 |
n.d. |
40 |
77 |
2300 |
0 |
97 |
1994 |
65 |
0 |
105 |
95 |
1100 |
24 |
341 |
1995 |
89 |
0 |
82 |
83 |
4500 |
13 |
417 |
1996 |
97 |
0 |
100 |
509 |
2000 |
12 |
263 |
1997 |
42 |
0 |
497 |
196 |
1700 |
30 |
1224 |
1998 |
45 |
n.d. |
364 |
600 |
1700 |
115 |
2040 |
n.d.
non disponible. SOURCE: BERD/CDC (La Serbie ne figure pas dans les statistiques de la BERD). |
Les seize entreprises françaises en Serbie:
AFP Beograd | presse |
Air France Beograd | transport aérien |
Alcatel Jugoslavija | équipement télécom |
Alstom Beograd | équipement électrique |
Balkan Commodities | grossiste sucre, chocolat |
Bull Jugoslavija | informatique |
Distri-France | commerce de détail |
France Produkt | grossiste fruits, légumes |
Ledex | grossiste industriel |
Matrimonia | robes de mariées |
Moulinex | électroménager |
Publicis Virgo | publicité |
Renault | automobile |
Schneider Electric | matériel électrique |
Société générale | banque |
Yugofrance | grossiste vestimentaire |
source: CFCE |
- La plupart des entreprises françaises implantées
en Serbie n'ont qu'une activité de représentation. En dehors d'Air
France, qui a suspendu ses vols, les autres restent en attendant des jours meilleurs.
Telecom Italia et la société grecque OTE, qui possèdent
respectivement 26% et 20% de Telekom Serbia, ont beaucoup plus souffert de la
guerre.