l'Edito du dimanche > Rédigé le 28 mai 1999
Le bon, la brute et le tribunal :
Bataille boursière et juridique entre milliardaires.

Rien ne semblait s'opposer à ce que deux milliardaires français se livrent une bataille sans pitié pour le rachat du groupe de luxe italien Gucci. Entre le raid boursier de Bernard Arnault, président de LVMH, et la prise de contrôle feutrée de François Pinault, président de Pinault-Printemps-Redoute, le tribunal d'Amsterdam a pourtant tranché, jeudi 27 mai, en faveur du second. L'enjeu de ce procès dépasse la seule rivalité entre les deux hommes d'affaires. Contrairement à ce que croient ses détracteurs, le capitalisme moderne n'est pas un capitalisme sauvage sans foi ni loi. Tous les coups ne sont pas permis et la décision du tribunal d'Amsterdam en est la preuve.

Au lieu de lancer une OPA en bonne et due forme sur Gucci qui lui aurait coûté 42 milliards de francs, Bernard Arnault avait voulu jouer au plus fin. Pour faire des économies il n'avait acheté qu'un tiers des actions de Gucci en Bourse, sans vouloir lancer une OPA sur la totalité du capital, ce qui lui aurait pourtant assuré la victoire et aurait profité de façon équitable à tous les petits actionnaires de Gucci. Dans ces conditions, le tribunal d'Amsterdam a considéré que Gucci avait parfaitement le droit d'organiser une défense anti-OPA officielle en faisant entrer François Pinault dans son capital. Ce verdict n'est pas le plus favorable pour les investisseurs (l'action Gucci a reperdu 6,5% jeudi), mais il a le mérite de sanctionner un raid boursier inéquitable pour les petits porteurs et de reconnaître à une société menacée le droit de se défendre.

La justice aura un rôle tout aussi important pour sanctionner les coups bas dans le litige qui oppose France Télécom et Deutsche Telekom. Lors de leurs privatisations, les opérateurs de télécommunications français et allemand s'étaient mutuellement juré fidélité en s'échangeant 2% de leur capital et en s'engageant à discuter préalablement de tous leurs mouvements stratégiques. Or, France Télécom accuse aujourd'hui Deutsche Telekom d'avoir trahi ces accords en tentant de fusionner à son insu avec Telecom Italia. Non seulement Deutsche Telekom a échoué dans sa tentative de pacte italo-germanique, mais il risque en plus de devoir payer des milliards de francs d'indemnités à France Télécom pour avoir rompu ses engagements.

Bien sûr, les hommes d'affaires ne sont pas des enfants de coeur et les coups bas resteront longtemps monnaie courante entre sociétés concurrentes. Mais le fait que ces différends apparaissent au grand jour et qu'ils se règlent devant les tribunaux est un progrès. Même si elle est parfois contestable, la justice est en effet plus transparente et équitable que les arbitrages de copinage ou les règlements de comptes politiques qui caractérisent aussi bien le capitalisme sauvage que l'économie planifiée.

Gilles Pouzin

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