l'Edito du dimanche > Rédigé le 31 mars 1999
Vive l'euro faible!
La nouvelle monnaie européenne a baissé de 10% en trois mois.

Notre orgueil monétaire aurait-il souffert de la guerre? Alors que les économistes chantaient la victoire de l'euro sur le dollar dès ses premiers pas, le nouveau-né a trébuché. Depuis qu'il a vu le jour, l'euro est tombée de 1,18 à 1,07 dollars, soit une chute de presque 10% en trois mois. En franc, cela équivaut à une remontée du dollar de 5,55 à 6,13 francs.

Cette dévaluation involontaire pique l'amour propre des autorités monétaires. "Nous avons intérêt à ce que l'euro soir durablement fort" a ainsi prévenu Hans Tietmeyer, le président de la Bundesbank allemande, un homme très influent auprès de la banque centrale européenne qui pilote maintenant notre destin économique. Mais la faiblesse de l'euro est, en revanche, plutôt bien accueillie par nos gouvernants. Quand l'euro gonflait ses muscles, début janvier, Lionel Jospin avait été l'un des premiers à souhaiter que la monnaie européenne ne soit pas surévaluée. Plus tard, c'est le secrétaire d'Etat au commerce extérieur, Jacques Dondoux, qui trouvait l'affaiblissement de l'euro "très sympathique" en ajoutant : "Un euro voisin du dollar est un bon signe pour nos entreprises".

La vérité c'est que l'euro faible est plutôt salutaire pour relancer l'économie européenne, très affaiblie par rapport à la croissance américaine. Bien sûr, la baisse de l'euro serait une mauvaise chose si elle résultait d'une perte de confiance des investisseurs et des utilisateurs de cette monnaie, comme c'est le cas dans certains pays en développement ou en Russie. Dans une telle situation, le pays dont la monnaie est attaquée doit relever ses taux d'intérêt, ce qui pénalise les emprunteurs et étrangle les entreprises.

Mais quand une monnaie est suffisamment reconnue, comme le dollar, le deutsche mark, le franc ou l'euro, sa baisse peut être très profitable pour le pays. Et sa hausse peut s'avérer nuisible. Entre 1990 et son record de 1995, le yen s'est par exemple envolé de 73% par rapport aux devises européennes, alors que le Japon traversait sa plus grave récession depuis la guerre. A l'inverse, la chute de 37% du dollar entre 1986 et son plus bas de 1995 (quand il est passé de 7,50 à 4,75 francs) s'est accompagnée d'une des plus belles périodes de croissance aux Etats-Unis.

En fait, la plupart des experts savent bien qu'une faiblesse monétaire bien gérée est une arme économique redoutable. Laisser baisser l'euro de 10% a exactement le même effet que d'imposer 10% de droits de douane sur tous les produits qui entrent en Europe, ou que d'accorder une subvention de 10% sur tous les produits vendus par l'Europe au reste du monde. Evidemment, il peut paraître un peu égoïste de vouloir favoriser ainsi notre économie par rapport aux autres pays. Mais c'est une revanche dont l'Europe a bien besoin. Entre 1993 et 1998, elle a perdu un million d'emplois alors que les Etats-Unis en créaient 15 millions.

Gilles Pouzin

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