l'Edito du dimanche >

Rédigé le 24 juin 1999
Trichet et la bataille SG BNP :
U
n interventionnisme désuet.

Alors que la bataille boursière entre la BNP et la Société générale prenait un tournant décisif, le gouverneur de la Banque de France, Jean-Claude Trichet, a bloqué les surenchères au nom des "intérêts moraux des établissements et du bon fonctionement du système bancaire". Mais au lieu de préserver les intérêts des banques concernées, son intervention a surtout causé un préjudice inacceptable à leurs actionnaires.

En bloquant la bataille boursière, la Banque de France (par la voix du Comité des établissements de crédit et des entreprises d'investissements) a fait dégringolé les cours: l'action Société générale a plongé de 12,7% en deux jours, l'action Paribas de 10,2% et l'action BNP de 7,2%. Le "bon fonctionnement du système bancaire" semble plus perturber par l'interventionnisme désuet de Jean-Claude Trichet que par les forces du marché qui venaient le dynamiser.

Evidemment, la Banque de France doit veiller à ce que les banques ne prennent pas des risques qui mettent en péril la sécurité des dépôts. On peut cependant la soupçonner ici de ne pas être totalement objective dans l'examen de ce critère, puisque la solvabilité financière du projet de la Société générale qu'elle a bloqué est meilleure que celle du projet de la BNP qu'elle avait laissé passer.

Bien sûr, l'intervention des autorités bancaires est également indispensable pour éviter qu'une faillite désordonnée fasse dérailler la croissance économique. La Banque d'Angleterre était intervenu à ce titre en 1995 pour faciliter le sauvetage de la Barings par le groupe hollandais ING. La Fed, la banque centrale des Etats-Unis, était également intervenu dans ce sens en septembre 1998 pour accélérer le sauvetage du fonds spéculatif LTCM par 14 banques américaines et européennes.

La BNP, la Société générale et Paribas ne semblent cependant pas au bord de la faillite. Et la Banque de France n'a pas de leçons à donner dans ce domaine puisqu'elle a fermé les yeux sur la gestion périlleuse du Crédit Lyonnais et qu'elle a préféré faire payer son sauvetage par les contribuables plutôt que par les repreneurs étrangers.

On notera enfin que les autorités bancaires modernes n'interviennent en aucun cas pour dicter aux banques privées ce qui est dans leurs intérêts. Lors de la mégafusion, en 1998, entre le groupe Travelers et la Citibank, la Fed américaine avait émis un doute sur la pertinence de l'opération pour les actionnaires, mais elle leur avait laissé la liberté et la responsabilité de leur choix.

Même la banque d'Italie qui fait encore preuve d'interventionnisme en bloquant certaines fusions, semble plus ouverte que la Banque de France puisqu'elle a invité les banques étrangères à racheter des banques italiennes. Au regard de ces exemples, Jean-Claude Trichet aura du mal à faire croire aux actionnaires français qu'il est dans leur "intérêt moral" de bloquer la bataille boursière.

Gilles Pouzin

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