Marchés Emergents > | Rédigé le 16 avril 1996 Du fric pour l'Afrique : Sur la piste des investisseurs dans les Bourses africaines. |
L'Afrique, ses guerres et son Sida, sa corruption et ses famines. Des clichés bien ancrés dans les esprits compatissants qui font toujours partie des tristes réalités du continent noir. Longtemps laissée pour compte du développement économique, l'Afrique est pourtant en passe de devenir la dernière coqueluche des amateurs de marchés émergents. Les investisseurs étrangers ont ainsi acheté pour 146 millions de dollars d'actions et d'obligations africaines en 1994 contre zéro en 1993. C'est peu, mais autant qu'en Asie dix ans plus tôt, quand les pionniers des Bourses exotiques découvraient leur potentiel insoupçonné.
Johannesbourg,
porte d'entrée du continent africain
La fin de l'apartheid, l'attribution du prix
Nobel de la Paix 1993 à Nelson Mandela et Frederik De Klerk, et l'élection
en fanfare du premier président noir d'Afrique du Sud, ont déclenché
cet engouement subit. &laqno;Nous nous sommes implantés à Johannesbourg
dès octobre 1993 et nous gérons aujourd'hui plus de 100 millions
de dollars sur le continent africain pour le compte d'investisseurs américains»,
explique Justin Beckett, président de New Africa Advisers (lire encadré
le Soros africain). Depuis la
levée de l'embargo, en octobre 1993, la capitale sud africaine est devenue
la porte d'entrée du continent, véritable plaque tournante où
les banquiers et golden boys se bousculent pour découvrir avant les autres
ce dernier eldorado des marchés émergents. C'est un continent
entier qui a été complètement ignoré», s'exclame
Jaideep Khanna, gestionnaire du Morgan Stanley Africa Investment fund, le plus
gros fonds africain, avec 250 millions de dollars d'actifs. En décembre
dernier, la banque britannique Barings lui a emboîté le pas en
lançant son Simba fund, avec 30 millions de dollars à investir.
Depuis deux ans, une douzaine de nouveaux fonds spécialisés sur
l'Afrique ont collecté près d'un milliard de dollars au total.
Et ce n'est qu'un début.
L'élan de curiosité des investisseurs étrangers ne serait qu'un feu de paille si l'Afrique n'offrait pas de réelles perspectives de plus-values. Les Afro-optimistes y croient : avec environ 5% de croissance économique en 1995, les Africains auront enregistré la première amélioration de leur PIB par habitant depuis les années 70. Il est vrai que malgré ses 30 millions de kilomètres carrés et ses 720 millions d'habitants le second plus grand continent de la planète affiche encore un PIB global de 420 milliards de dollars, inférieur à celui de l'Espagne. Mais après la décennie perdue, l'Afrique n'est plus dans l'attente des luttes passives. Les plans d'ajustement structurels du FMI commencent à produire leurs effets, y compris dans la zone franc. La société de gestion britannique Framlington, filiale du CCF, est ainsi sur le point de lancer son West Africa growth fund, sponsorisé par la Société financière internationale, SFI, et la Caisse française de développement, pour promouvoir la Bourse d'Abidjan. La dévaluation du franc CFA a donné un fabuleux coup d'accélérateur à l'économie, explique Michel Haski, directeur des marchés émergents chez Framlington. Après treize ans de récession, les treize pays de la zone franc ont vu leur croissance grimper de 1,2% en 1994 à 5% en 1995 et la Bourse d'Abidjan s'est envolée de 150% en deux ans.» Pour faire de cette performance un catalyseur des investissements étrangers, la Bourse d'Abidjan sera bientôt transformée en Bourse régionale accueillant les entreprises nigériennes, togolaises, sénégalaises, béninoises, maliennes ou burkinabé. Un projet prometteur, s'il connaît le succès des autres opérations de la SFI.
Bras armé de la Banque Mondiale chargé de la promotion du secteur privé dans le tiers monde, la SFI n'en est pas à son coup d'essai. Depuis 1990, l'Afrique accapare un quart de ses projets d'investissements. A la fin de 1995, 13% de son portefeuille étaient investis sur le continent africain. Et la récolte de ces paris audacieux s'améliore sensiblement. Le taux de rentabilité économique des projets réalisés par la SFI en Afrique est passé de -2% dans les années 70 à +7% dans les années 80 et +15,8% depuis le début des années 90. Avant le West Africa fund lancé avec Framlington, la SFI avait déjà été pionnière sur le continent en créant dès 1992 un African Emerging market fund, dont les 70 millions de dollars d'investissements sont aujourd'hui gérés par Emerging Markets management, la société du gourou des marchés émergents Antoine Van Agtmaël. Les Bourses africaines ne sont pas très différentes des autres marchés émergents dans leur phase embryonnaire», assure John Niepold qui gère le fonds. Dans un monde dominé par le commerce international et les délocalisations, le coût très réduit de la main d'oeuvre et la proximité de sources d'approvisionnements abondantes sont des avantages compétitifs imbattables.
Lié
à l'enrichissement de l'Asie
Les ressources naturelles sont toujours la première richesse du continent.
&laqno;L'Afrique est le grenier à matières premières de
la planète», rappelle Michael Power, qui gère le Simba fund
de la Barings en connaissance de cause. Né au Kenya où ses parents
s'occupaient d'une plantation de café, Michael Power y a vécu
jusqu'à l'âge de quinze ans. A trente ans, il a pris une année
sabbatique pour faire son premier safari d'investisseur : au volant de sa Land
Rover il parcourait la brousse pour visiter des mines de diamant en Namibie
et au Botswana, des plantations de tabac au Zimbabwe ou des cultures de thé
au Kenya, en Ouganda et au Malawi...
&laqno;L'Afrique est le premier exportateur mondial d'or, de platine, de diamands, de chrome, de phosphates, de thé ou de tabac, et le second pour le cuivre, le café, le pétrole et le coton, explique-t-il avec enthousiasme. Son salut viendra de l'industrialisation et de l'enrichissement de l'Asie». Preuves à l'appuie. Les importations asiatiques de matières premières non-énergétiques ont été multipliées par douze entre 1970 et 1992. L'Asie importera trois fois plus de charbon en 2010 qu'en 1990. Les Chinois consomment 40% du tabac mondial et l'Inde ne sera plus autosuffisante en thé d'ici quatre ans. Cinq des sept pays qui consomment le plus de diamands et huit des dix plus gros acheteurs d'or sont asiatiques. La consommation d'acier inoxydable d'Asie de l'Est a dépassé celle des Etats-Unis en 1994. Du coup, les Asiatiques s'intéressent aussi de très près à leurs fournisseurs. A la Bourse du café de Nairobi, 90% des acheteurs sont asiatiques ou travaillent pour des Asiatiques. Et avant de rejoindre la Barings, Michael Power a lui même travaillé pour une banque de Hong Kong impliquée dans des projets de développement agricoles, industriels et touristiques au Kenya.
Le secteur primaire n'est en effet pas la seule perspective de profits des investissements en Afrique. Entre 1985 et 1994, les recettes touristiques ont grimpé en moyenne de 6,8% par an au Kenya, de 12,6% en Afrique du Sud et de 21,9% au Zimbabwe. Les industries de transformation sont aussi florissantes. Avec 15 milliards de dollars de chiffre d'affaires, South African Breweries est ainsi le cinquième producteur mondial de bière devant l'Américain Anheuser Bush. Les filiales locales des grandes marques, comme Guinness Ghana ou Nestlé Côte d'Ivoire, sont aussi appréciées des investisseurs. Même si certaines Bourses sont encore embryonnaires, comme le Malawi Stock exchange avec seulement deux sociétés cotées, il est possible de se constituer un portefeuille diversifié au fur et à mesure que le continent s'ouvre aux étrangers. &laqno;Nous examinons chaque Bourse avec un regard d'investisseur pour déterminer si elles sont assez mûres pour être introduites dans nos calculs d'indices internationaux», explique Ziad Maalouf, responsable de l'Afrique au département des marchés émergents de la SFI qui rentre d'une tournée de trois semaines sur place. Parmi les candidats à une promotion l'automne prochain, le Maroc et l'Egypte seraient notamment en compétition avec le Kenya et le Ghana. De l'Angola au Mozambique il y a une foule d'opportunités, mais il faut y aller pour les trouver», résume Jaideep Khanna, de Morgan Stanley, qui frissonne encore de son dernier survol du désert namibien dans un avion rafistolé. L'ère des explorateurs de la finance est encore pleine de dépaysements.
Le
Soros africain
Justin Beckett sait le prix et les atouts de
sa couleur et n'hésite pas à le dire. &laqno;Les noirs américains
connaissent très mal leurs origines africaines car l'esclavage a brouillé
leur arbre généalogique mais ils sont prêts à s'impliquer
dans le développement économique de l'Afrique.» Au point
que certains d'entre eux demandent aux fonds de pension qui gèrent leurs
retraites d'y investir davantage. Fort de ce retour aux sources, Justin Beckett
a créé New Africa Advisers, première société
américaine a s'installer en Afrique du Sud après l'apartheid.
Justin Beckett n'est pas un novice du Blak Business. A 33 ans, il est le plus
jeune associé de Macio Sloan, le fondateur de Slaon Financial, basé
à Durham en Caroline du Nord, qui est la plus grosse société
de gestion appartenant à des noirs. A son actif, 3,5 milliards de dollars
d'actifs. Aujourd'hui près de 3%, soit environ 100 millions de dollars,
sont investis sur les Bourses africaines. Si tous les fonds de pension investissaient
autant en Afrique, cela ferait une manne de 150 milliards de dollars»,
estime-t-il avec conviction.
Ces objectifs ambitieux ne sont pourtant pas farfelus. L'extraordinaire résistance des Bourses africaines à la crise des marchés émergents de 1994 suscite un grand intérêt chez les gestionnaires. Raison de plus pour y revenir après l'embargo qui leur avait fait déserter Johannesbourg dans les années 80. Pour accroître les chances des entrepreneurs africains, Justin Beckett a aussi créé le New Africa New Leaders Scholarship fund qui leur procure des aides financières pour poursuivre leurs études sur des campus américains. Une intelligence Boursière et une philanthropie dignes de George Soros.
Gilles Pouzin