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Rédigé le 18 septembre 1998 |
Si les marchés ont perdu la tête, remettons-les dans le droit chemin en contrôlant notre taux de change. C'est la nouvelle solution que les dirigeants des pays en développement étudient pour arrêter la spéculation qui bouleverse leurs économies. Après tout, ce raisonnement repose sur une logique compréhensible. Quand les crises monétaires se sont abattues sur les dragons asiatiques, notamment l'Indonésie, la Malaisie et la Corée, les experts appelés à la rescousse ont invoqué les faiblesses fondamentales de l'économie. Du coup, le Fonds Monétaire International leur a prescrit des réformes structurelles et des mesures d'austérité sensées rétablir la confiance des investisseurs. Mais les attaques spéculatives ont redoublé de plus belle.
Au plus fort de la crise, le ringgit, la monnaie malaise (lire encadré Le cas malais), a enregistré des fluctuations de 60% qui ont aggravé la crise économique en Malaisie. Ne sachant plus quelle mesure prendre pour stabiliser leurs devises, les dirigeants asiatiques ont pensé à une alternative. "Puisque l'on ne parvient plus à rétablir la confiance des investisseurs, se sont-ils dit, décrétons la en fixant nous même le cours de notre monnaie et en supprimant le marché des changes." Fixer le cours de sa monnaie et interdire la spéculation sont deux solutions apparemment séduisantes pour les pays en pleine crise monétaire. Mais sont-elles réalisables et sont-elles viables ?
1
- Instaurer un contrôle des changes
Le contrôle des changes n'est pas une mesure nouvelle. C'était
l'option choisie au départ par de nombreux pays pour éviter que
des mouvements de capitaux incontrôlés ne déstabilisent
leur monnaie et leur économie. Même la France utilisait encore
le contrôle des changes il y a une douzaine d'années (voir encadré).
Avec la mondialisation de l'économie, les pays qui voulaient attirer
des capitaux étrangers ont libéré leur marché des
changes. Ils laissaient tout le monde acheter et vendre librement leur devise
tout en essayant d'en limiter les fluctuations.
Les banques centrales asiatiques avaient principalement deux méthodes pour empêcher leur monnaie de baisser en dessous du niveau souhaité. La première était de dépenser leurs réserves de devises étrangères pour acheter leur propre monnaie sur le marché des changes afin de compenser les ventes. La seconde était de monter leurs taux d'intérêt pour rendre les placements libellés dans leur devise plus intéressants que les autres. Mais ces politiques sont extrêmement coûteuses en période de crise. Pour défendre sa monnaie sans fermer son marché des changes, le Brésil a par exemple dépensé 22 milliards de dollars de réserves en six semaines et relevé ses taux d'intérêt à 50%, ce qui pénalise les consommateurs et les entreprises brésiliennes. La Malaisie a pour sa part décidé d'abandonner ces options et de rétablir le contrôle des changes.
Une
solution envisageable
Le principe du contrôle des changes est simple : la Malaisie a fixé
le cours de sa monnaie, le ringgit, a 3,8 ringgit pour un dollar. Pour être
sûre que les spéculateurs n'attaquent pas ce cours, la Malaisie
s'est retirée du marché des changes. Les achats et les ventes
de ringgit ne peuvent plus se faire que sous son contrôle au cours officiel
de 3,8 ringgit pour un dollar. Et les sorties de capitaux sont strictement contrôlées
aux frontières (voir encadré).
Le contrôle des changes a longtemps été utilisé et il apparaît toujours comme une solution envisageable pour stopper la spéculation à grande échelle sur les marché financiers. Mais dans la pratique, sa faisabilité dépend en grande partie de la volonté des opérateurs à jouer le jeu. Dans le cas de la Malaisie, par exemple, le contrôle des changes ne s'applique qu'aux mouvements de capitaux alors que les entrées et sorties d'argent restent libres pour payer les échanges commerciaux. Certains experts pensent que les malais exploiteront cette faille pour sortir leurs économies du pays. "Le won coréen a bien continué de s'écrouler l'an dernier en dépit de la fermeture de son compte de capital", observe Andy Xie, économiste à la banque Morgan Stanley.
Impossible
d'arrêter le marché noir
Et quand bien même un pays contrôlerait toutes ses sorties de devises,
il n'empêcherait pas la fuite des capitaux ni la chute de sa monnaie...
sur le marché noir. "La dernière fois que le Brésil
avait instauré un contrôle des changes, lors du plan Color, le
réal valait deux fois moins cher sur le marché noir qu'au cours
officiel et les capitaux fuyaient le pays clandestinement", se souvient
Roger Write, président de CSFB Garantia, la première banque d'affaires
du Brésil.
Utilisé à dose homéopathique, le contrôle des changes peut néanmoins s'avérer efficace. "La liberté d'action obtenue par votre volonté de défier l'orthodoxie doit être bien utilisée", déclare ainsi l'économiste Paul Krugman dans une lettre ouverte au premier ministre Mahathir. En s'isolant du contrôle des changes, la Malaisie peut en effet baisser ses taux d'intérêt pour relancer sa croissance sans que son économie ne soit pénalisée par la baisse de sa monnaie. Mais si elle pratique une telle relance pendant trop longtemps sans régler ses problèmes structurels, la spéculation risque de redoubler quand elle ouvrira de nouveau son marché des changes. Ne jamais rouvrir son marché n'est même pas une option puisqu'elle se couperait alors définitivement des sources de financement extérieures bien utiles pour son développement.
2
- Taxer les spéculations sur le marché des changes
Pénaliser les transactions spéculatives du marché des changes
en les taxant est une idée qui refait surface à chaque grande
crise financière. Elle a été formalisée en 1971
par James Tobin, conseiller du président Kennedy et prix Nobel d'économie.
La taxe qui porte désormais son nom consisterait à prélever
0,1% ou 0,2% sur les transactions de change pour décourager les aller-retour
incessants des spéculateurs. L'avantage est que cela donnerait aux banques
centrales des pays attaqués un moyen de se défendre sans remonter
leurs taux d'intérêts ni dilapider leurs réserves.
Le problème est que cette taxe Tobin est très contestée par les professionnels des marchés et les banques centrales elles mêmes qui la jugent irréalisable. Certains la trouvent utopique sous prétexte qu'il faudrait qu'elle soit adoptée par le monde entier pour être efficace. D'autres, comme Jacques Delors, estiment qu'il suffirait qu'elle soit appliquée par les sept premières places financières mondiales pour dissuader la spéculation puisque les trois quart des transactions se déroulent sur leurs marchés. Même si le débat idéologique reste ouvert, la taxe Tobin ne serait de toute façon pas réalisable sans l'adhésion des Etats-Unis. Or, ces derniers y sont formellement et publiquement opposés.
Efficacité
contestée
En dehors de sa faisabilité, l'efficacité économique de
la taxe Tobin est de toute façon contestée car elle risquerait
soit d'être contournée par l'utilisation de produits dérivés,
soit de pénaliser aussi les investisseurs animés de bonnes intentions
en augmentant le coût de leurs transactions sur une gamme étendue
d'instruments financiers. Enfin rien ne dit qu'elle serait un remède
aux crises monétaires. "La taxe Tobin ne permet pas d'éviter
tous les types de crise, reconnaît son auteur. Si des monnaies sont fondamentalement
surévaluées, cela ne les protégera pas contre un ajustement."
Taxe Tobin ou contrôle des changes, les stratagèmes utilisés pour pallier les excès des marchés financiers n'ont aucune chance de réussir si les symptômes à l'origine de la crise persistent. Aucun moyen coercitif ne peut vraiment obliger les gens à avoir confiance dans une monnaie. La seule valeur d'un billet est celle que lui donnent les gens qui l'utilisent.
Notes
: 65% de la dette des pays en développement détenue par des investisseurs
privés est libellée en dollar.
Le Brésil a dépensé 24 milliards de dollars en six semaines
pour défendre sa devise.