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Rédigé
le 14 janvier 1999 |
Vive l'euro! C'est le cri de joie que les Rois mages des marchés financiers ont lancé pour saluer la naissance de la nouvelle monnaie. Dès ses premières palpitations, l'euro attire tous les investisseurs de la planète comme un aimant. L'euro s'impose d'abord comme une grande monnaie face au dollar, inspirant le respect, tinté de jalousie, des ministres des finances japonais et américains. Il gagne ensuite la confiance des marchés obligataires, qui l'accueillent par une nouvelle baisse des taux d'intérêt. Il séduit enfin les Bourses européennes, qui s'envolent de 9% sur les trois premières séances de l'année.
C'est l'europhorie! Après seulement trois semaines d'existence, il est trop tôt pour faire un bilan de la nouvelle monnaie. Vue de l'extérieur, la naissance de l'euro passe pour l'instant pour une formalité sans problème. Pourtant, la transition des onze pays de l'union vers leur monnaie unique ne fait que commencer. L'arrivée de l'euro bouleverse les repères des investisseurs et promet encore quelques casse-têtes dans les mois qui viennent. En voici quelques illustrations.
Une
monnaie sans histoire
Un euro égal 6,55657 francs. Le taux
de conversion de notre vieille monnaie en euro était connu dès
le 31 décembre. Les banques qui s'étaient minutieusement préparées
au basculement n'ont connu aucun déboires: le 4 janvier, elles étaient
fin prêtes et toutes les opérations pouvaient reprendre comme avant.
Pourtant, l'adoption de la nouvelle monnaie est un vrai choc culturel. D'abord
pour les particuliers. "Certains de nos clients ont du mal à s'habituer
aux conversions et les retraités sont complètement largués",
observe Henry Masdevall, conseiller en gestion de patrimoine chez Valorey Finance.
La confusion la plus courante consiste à multiplier un montant en francs
pour le convertir en euros et à diviser un montant en euros pour le convertir
en francs. Loupé! C'est évidemment le contraire qu'il faut faire.
Les particuliers ne sont pas les seuls embarrassés par la parité à virgule. "Beaucoup de trésoriers d'entreprise ont toujours des francs à placer, explique Michel Haski, directeur de Dresdner RCM Global Investors à Paris. Mais comme les fonds qu'ils souscrivent sont cotés en euros, nous devons faire quatre fois plus de calculs qu'avant." Passer en permanence de l'euro au franc et vice versa rend le monde financier inutilement compliqué, surtout pour des opérations aussi précises qui se prêtent mal au calcul mental.
Le
manque d'antériorité de la nouvelle monnaie pose d'autres problèmes
inattendus
Aujourd'hui, tous les instruments financiers
sont cotés en euros. Mais, à l'exception des emprunts d'Etat et
des placements collectifs, leur valeur comptable officielle reste libellée
dans leur monnaie d'origine. C'est notamment le cas des swaps, c'est à
dire des contrats à terme d'échange de taux d'intérêt.
Toutes les banques et toutes les entreprises devront négocier une par
une les modalités de versement en euros des sommes prévues par
ces contrats. La question sera d'autant plus épineuse que la nouvelle
règle de calcul des taux d'intérêt dans la zone euro ne
se base plus sur une année de 360 jours mais de 365 jours, ce qui, sur
des grosses sommes, peut entraîner quelques millions de différence.
Obligations
cherchent taux d'intérêt
Jusqu'à maintenant, les taux d'intérêt
d'un pays reflétaient la confiance des investisseurs dans sa monnaie.
Les différences de taux d'intérêt entre l'Allemagne et Italie
étaient ainsi en partie justifiées par les risques d'érosion
du deutsche mark et de la lire. Depuis le 4 janvier, les onze pays de l'Union
ont la même monnaie et la même banque centrale. La disparition du
risque de change rend leurs emprunts parfaitement comparables. Du coup, les
taux de référence de chaque pays ont disparu au profit des taux
d'intérêt de l'euro. Pourtant, ces derniers n'ont pas encore trouvé
leurs repères.
Premier changement: les obligations françaises disparaissent de l'univers des épargnants. L'indice boursier des obligations françaises est remplacé par le nouvel indice CNO-XX européen, dans lequel les obligations françaises ne représentent plus que 24%. La conséquence logique serait que les gestionnaires d'obligations françaises diversifient leur portefeuille vers d'autres emprunts de la zone euro au détriment des Bons du Trésor français. Les sicav et les fonds d'investissement ont déjà pris acte de ce changement. Dans le classement réalisé par le cabinet Micropal, tous les fonds investis en obligations françaises ont été transférés dans de nouvelles catégories "obligations euro". Et les investisseurs s'aventurent de plus en plus en dehors des frontières de l'Hexagone. "Nous avons déjà 40% de certains fonds français investis dans d'autres pays européens, commente Christine Delagrave, gestionnaire chez CPR Gestion. Aujourd'hui, nous achetons des titres privés italiens qui rapportent 0,65% de plus que le marché monétaire européen alors qu'il n'en aurait pas été question il y a un an."
Tous les investisseurs institutionnels n'ont pourtant pas autant de liberté. Certaines caisses de retraite et mutuelles n'ont pas le droit d'acheter d'emprunts d'Etat étrangers, même s'ils sont libellés dans leur monnaie. La réglementation est en retard sur l'euro. Les compagnies d'assurance n'ont pas cette contrainte, mais l'européanisation de leur portefeuille les obligerait à remettre leur compteur de plus-values latentes à zéro, ce qui les exposerait à des risques comptables trop importants.
Deuxième surprise: le taux d'intérêt au jour le jour, celui qui servait de référence pour les sicav monétaires, a disparu. Dans tous les pays d'Europe il a été remplacé par l'Eonia. Non, il ne s'agit pas d'une nouvelle république balte mais de l'European overnight index average, c'est à dire l'indice moyen des taux d'intérêt au jour le jour européens. Le seul problème est que l'adoption de cet Eonia s'est traduite en France par une légère remontée des taux d'intérêt. L'Eonia a en effet débuté l'année 1999 à 3,21% alors que le taux d'intérêt au jour le jour avait fini 1998 à 3,06%. "Cet écart est du à un petit manque de liquidité et d'efficacité du marché interbancaire européen, explique Eric Bertrand, spécialiste de la question chez CPR Gestion. Tous les interlocuteurs ne se connaissent pas encore très bien et ils n'utilisent pas tous les mêmes systèmes de paiement ce qui les incite à garder leur trésorerie pour ne pas manquer d'argent." Pour réduire ce problème, la Banque centrale européenne a déjà retardé la clôture du système de paiement transfrontalier Target jusqu'à sept heures du soir. Ce délai de paiement supplémentaire devrait aider le taux d'intérêt au jour le jour à redescendre lentement vers son niveau d'avant l'euro.
La
Bourse et les chasseurs d'indices
La réaction des Bourses européennes
à l'arrivée de l'euro a sans doute été la plus spectaculaire
de toutes. Une envolée de 10% en trois jours pour l'indice CAC 40 et
de 9% pour l'indice Euro Stoxx 50. Malheureusement, le mouvement peut repartir
aussi vite dans l'autre sens, comme l'ont montré les rechutes de ces
mêmes indices entre le 6 et le 13 janvier. Quoi qu'il en soit, l'arrivée
de l'euro condamne les valeurs phares des Bourses européennes à
ces montagnes russes. "Les investisseurs en actions sont les premiers à
vouloir acheter des valeurs européennes pour diversifier leur portefeuille,
observe Michel Haski. Mais quand on investit en dehors de ses frontières,
le reflex est d'aller d'abord vers les sociétés les plus grosses
et les plus connues." Du coup, les quatorze actions françaises qui
entrent dans la composition de l'indice Euro Stoxx 50 sont les plus demandées
par les investisseurs étrangers, ce qui explique leur envolée
et celle de l'indice CAC 40 auquel elles appartiennent également. Mais
cet engouement un peu exagéré fait monter leur cours à
des niveaux surévalués qui les rendent plus vulnérables
en période de baisse. Vivre en euros n'est décidément pas
de tout repos.