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Rédigé le 18 avril 1995 |
Quand votre serviteur voit le jour, en 1967, le monde industrialisé vit sur ses acquis d'après-guerre. La reconstruction, qui a joué un rôle de locomotive de la croissance, commence à s'essouffler. Et les taux de change profitent des dernières heures de calme olympien qui règnent depuis le système de parités fixes des accords de Bretton Woods. Le monde a trop changé depuis 1945 pour rester figé dans ces institutions.
Un seul chiffre dispense de toute explication géopolitique: la population terrienne s'est accrue d'un milliard d'individus entre 1945 et 1967. Elle augmentera encore de plus de deux milliards d'humains entre 1967 et 1994, pour atteindre 5,7 milliards aujourd'hui. La redistribution des cartes ne se fait pas sans frictions et sans à-coups. La traduction des chocs socio-économiques sur les taux de change en est la meilleure illustration.
1967-1973
: la mort des trente glorieuses
Le samedi 18 novembre 1967, la livre est dévaluée précipitamment
de 14,3%. Le franc avait déjà dévalué de presque
30% par rapport au dollar entre 1957 et 1960. Mais la livre sterling, elle,
était réputée aussi solide que l'étalon or. Sa dévaluation
est un premier coup de canif au système monétaire international
hérité des accords de Bretton Woods. La communauté financière
internationale ne croit plus à la réelle convertibilité
des monnaies en or. Quatre mois plus tard, le 15 mars 1968, l'once d'or s'envole
à 44 dollars.
Entre le plan Marshall, la guerre de Corée et du Vietnam, les Etats Unis ont trop dépensé et trop distribué de dollars. Leurs réserves d'or ne suffisent plus à rembourser les réserves de billets verts accumulées par les autres banques centrales. Le 15 août 1971, Richard Nixon renie officiellement la convertibilité du dollar. En décembre, le groupe des dix pays les plus industrialisés se réunit au Smithsonian institute, à Washington, et décide une dévaluation de 8,6% du dollar par rapport à l'or et, en parallèle, une réévaluation de 4,6% du mark et de 7,7% du yen, pour tenir compte de leur compétitivité retrouvée. Toutes les monnaies évoluent dans une fourchette de parités semi-flottantes de 2,25% par rapport au dollar. Quatorze mois après, en février 1973, le dollar dévalue à nouveau de 10% et ne trouve bientôt plus aucun pays pour défendre ses parités de change.
Sur le front économique, la situation se dégrade. Le prix des matières premières n'a cessé de s'éroder depuis les années cinquante. Les producteurs de pétrole réagissent à la baisse du dollar en faisant progressivement monter le baril de 1,3 dollar en 1970 à 3 dollars en 1973. Avec la guerre du Kippour, le cours du baril est multiplié par trois, à 9 dollars. Plus aucun pays ne se préoccupe plus alors de défendre ses parités monétaires par rapport au dollar. Le 1er choc pétrolier sonne la fin des trente glorieuses et l'écroulement du système monétaire international. Le flottement total des monnaies et la politique du "chacun pour soi" n'est officiellement entériné qu'en 1976 par les accords de la Jamaïque.
1974-1982
: désordre et stagflation
Première conséquence du choc pétrolier : l'inflation s'envole.
La hausse des prix de détail dans les pays industrialisés passe
de 4,6% en 1972 à 7,7% en 1973 et 13,3% en 1974. Cette année là,
l'inflation culmine à 24,4% au Japon, l'année suivante elle atteint
24,3% en Angleterre. La dynamique des trente glorieuses est cassée net.
Après un dernier sursaut de 6% en 1973, la croissance des pays développés
s'écroule à 0,6% et plonge en récession de 0,4% l'année
suivante. Dans cet environnement perturbé, les tentatives d'organisation
du marché des changes tournent court. Le yen et la livre plongent de
20% entre début 1973 et le printemps 1975. Le dollar poursuit son yo-yo.
Les pays de la communauté européenne ne tiennent pas les promesses
du serpent monétaire européen qu'ils avaient créé
en 1972. Le franc sort du serpent entre janvier 1974 et juillet 1975 et le quitte
à nouveau en mars 1976 jusqu'à la création du SME trois
ans plus tard.
Les économies occidentales se sont à peine remises du premier choc pétrolier, et l'inflation s'est à peine ralentie (à 7,2% dans les pays développés en 1978) qu'un second choc menace. Le 1er février 1979, l'ayatollah Khomeiny prend le pouvoir à Téhéran. Le baril de pétrole s'envole à nouveau (12,7 dollars en moyenne en 1978, 17,3 en 1979, 28,7 en 1980), l'inflation cavale (plus de 13% aux Etats-Unis et en France en 1980, 18% en Angleterre). La récession est généralisée en 1982 (-1% en Allemagne, -2,5% aux Etats-Unis, -4,4% au Canada). La France y échappe et affiche une croissance de1,8% en 1982, grâce au plan de relance de François Miterrand. Il s'en suit un déficit commercial de 93,7 milliards de francs cette année là, et 23% de dévaluation du franc par rapport au mark entre octobre 1981 et mars 1983. L'envolée du pétrole et du dollar, et le surendettement des pays en développement aboutit à la crise de la dette mexicaine, suivie par le reste de l'Amérique latine en 1982.
1983-1990
: désinflation, croissance et krachs
La croissance ne revient qu'en 1983, avec un redémarrage fulgurant, tiré
par la locomotive américaine. La croissance des pays développés
passe de 2,5 en 1983 à 4,8% l'année suivante. Celle des Etats-Unis
s'envole à 6,8% en 1984 après 3,6% en 1983. Le président
Ronald Reagan, élu en novembre 1980, baisse les impôts et relance
les dépenses publiques, tandis que le gouverneur de la Federal reserve,
Paul Volker, nommé en novembre 1979, relève les taux d'intérêt,
jusqu'à 20% à l'été 1981, pour lutter contre l'inflation.
Le rendement réel des placements en dollar, inflation déduite,
devient le plus attractif jusqu'en 1985, portant la devise américaine
à plus de 10 francs aux sommets de sa gloire.
Pendant ce temps, l'Amérique s'endette, et creuse ses déficits budgétaires et commerciaux, tandis que l'Allemagne et le Japon accumulent des excédents d'exportations colossaux. Les marchés s'en rendent compte et commencent à corriger leurs excès, le dollar redescend. Le 22 septembre 1985, le groupe des sept pays les plus industrialisés signe les accords du Plazza, pour faire encore baisser le dollar jusqu'à des parités "cibles" secrètes. Le contre choc pétrolier, qui voit chuter le baril de 30 dollars en novembre 1985 à 10 dollars en juillet 1986, va les aider en accélérant la désinflation et la baisse des taux.
C'est une période bénie pour la Bourse. D'août 1982 à octobre 1987, les actions françaises, anglaises et japonaises s'envolent d'environ 300%, les allemandes et les américaines d'environ 200%. Mais à l'été 1987, le pétrole est remonté à 20 dollars, les taux à long terme se tendent rapidement par crainte d'un sursaut inflationniste entraînant le Krach du 19 octobre 1987. Ce "lundi noir" Wall Street plonge de 22,6%. Par peur d'une contagion dépressive sur l'économie, les autorités monétaires ouvrent les vannes du crédit. La baisse des taux prolonge la croissance (+4,4% aux USA et +6% au Japon en 1988) et relance la spéculation, en particulier sur l'immobilier et la Bourse japonaise. Dès l'été 1988, les banques centrales remontent leurs taux. La réunification allemande accentue la nécessité pour la Bundesbank d'augmenter ses taux pour éviter une surchauffe inflationniste (la croissance atteint 5,7% en RFA en 1990). Cette fois la fête est finie. la Bourse de Tokyo chute de 40% en 1990, les banques américaines sont entraînées dans la faillite de l'immobilier.
1991-1995
: crises et reprises
Depuis les années 1990, les cycles économiques et financiers se
succèdent et se répondent en se renvoyant la balle avec plus de
complicité que ne suggère la traditionnelle opposition entre "économie
réelle" et "sphère financière". La hausse
des taux, qui a permis de dégonfler la bulle de l'immobilier, a entraîné
la faillite de plus de 500 banques américaines, ce qui a entraîné
la raréfaction du crédit et plongé l'Amérique en
récession de 0,6% en 1991. La baisse des taux de la Fed, qui a permis
aux entrepreneurs de s'endetter à des taux exceptionnellement bas, a
entraîné une spéculation sur les obligations. La hausse
des taux de la Fed, à partir du 8 février 1994, a dégonflé
la bulle obligataire en même temps qu'elle refroidissait progressivement
l'économie. Quant au dollar, sa dévaluation sauvage est la réponse
des marchés aux déficits américains, en particulier vis-à-vis
des exportateurs japonais et allemands. Elle permet aux entreprises de l'Oncle
Sam d'exporter plus et à Wall Street de battre des records. Mais la dévaluation
compétitive évince progressivement le dollar du jeu monétaire
mondial : il ne représente plus que 60% des réserves de changes
des pays industrialisés, contre 89% en 1977. A l'inverse, le roi mark
approche 20% de ces réserves, contre 5,4% en 1977, suivi par le yen (8,7%
des réserves contre 1,8% en 1977). L'enjeu de cette guerre de tranchée
du marché des changes n'est autre que le poste de commande de la politique
monétaire mondiale.