Vu d'Amérique > |
Rédigé le 01 juin 1998 |
Qui payera nos retraites? Avec le vieillissement de la
population, la question s'aggrave de jour en jour dans les pays qui n'ont pas
mis d'argent de côté pour y répondre, comme en France. Mais
ici en Californie, les fonctionnaires sont tranquilles pour leurs vieux jours.
Calpers, le premier fonds de pension des Etats-Unis, veille sur leur retraite:
elle sera bonne. Calpers est connu sur les marchés financiers pour ses
placements colossaux de 140 milliards de dollars, soit 840 milliards de francs.
Mais derrière cette image faussée de cagnotte dorée, le
California Public Employees' Retirement System est avant tout une véritable
caisse de retraite modèle.
Un
fonds de pension démocratique et indépendant
A 130 kilomètres au nord-est de San Francisco, Sacramento est épargnée
par l'affairisme effervescent de la Silicon Valley. Avec ses larges avenues
presque désertes, la capitale administrative de Californie semble s'être
écartée du business pour se consacrer à des missions administratives
de la plus haute importance. C'est ici, à quelques rues du Capitol où
siège le parlement californien, que Calpers a élu domicile. Le
système de retraite des employés publics de Californie profite
comme chaque année d'une mâtinée calme et ensoleillée
de la fin mai pour réunir son assemblée générale.
Dans l'atmosphère studieuse du grand auditorium, le conseil d'administration
se penche rituellement sur l'ordre du jour: comment être capable de payer
à coup sûr les retraites promises aux cotisants? Cette question
apparemment anodine recouvre en fait une multitude d'enjeux et de détails
qui rendent les fonds de pension américains infiniment plus rassurants
que les systèmes de retraite français. Les problèmes soulevés
au cours de l'assemblée générale de Calpers en sont la
meilleure illustration.
"Les déductions des cotisations syndicales sur leurs fiches de paye donnent aux employés une chance d'être représentés à ce conseil, je recommande que nous votions contre leur restriction", déclare avec véhémence Robert Carlson, un retraité du ministère des transports qui siège au conseil d'administration de Calpers. Applaudissements de la salle. Après une heure de débats et d'audition des représentants syndicaux, Calpers vient de se déclarer officiellement contre un projet de loi du gouvernement californien qui aurait mis en danger son fonctionnement et son indépendance. "C'est une simple question de bon sens, résume Bill Crist, le président de Calpers. La plupart des membres de notre conseil d'administration siègent dans des associations pour collecter les voix nécessaires à leur élection." Charles Valdes, le vice président de Calpers, a été élu par un million de bénéficiaires du fonds tandis que Robert Carlson a été élu par les 321 000 retraités qu'il représente (lire encadré Calpers en chiffres). Quant à Bill Crist, c'est un professeur d'économie de l'université publique de Stanislaus, élu président de Calpers par les 255 000 salariés de l'état californien.
Des
retraites protégées par la justice
Contrairement à ce que l'on croit en
France, les fonds de pension américains ne sont pas des institutions
patronales mais des caisses de retraite indépendantes qui défendent
les droits des cotisants avec l'appui des syndicats, souvent contre la convoitise
des employeurs. "C'est un rapport de force qui dure depuis des années",
traduit Patricia Macht, directrice de la communication de Calpers. En 1991,
le gouvernement de Californie avait tenté de prendre le contrôle
du fonds de pension. "En contrôlant la méthode de calcul des
retraites il pouvait contrôler le coût de ces retraites et réduire
ses cotisations patronales pour faire face à des difficultés budgétaires
en période de récession", explique-t-elle. Mais les syndicats
ont fait voter une proposition de loi qui a donné au fonds de pension
son indépendance totale en 1992. Calpers a alors poursuivi le gouvernement
californien en justice et obtenu le remboursement de 1,2 milliards de dollars
de cotisations en retard. "Le jugement a établi que les cotisants
de Calpers avaient non seulement droit aux retraites qui leur étaient
promises, mais qu'ils avaient aussi droit à un système de retraite
fondé sur des bases actuarielles solides", poursuit la porte-parole
du fonds.
En d'autres termes, la justice a reconnu aux Américains leurs droits à la retraite et a voulu protéger ces droits en affirmant qu'il valait mieux ne pas laisser les employeurs calculer eux-mêmes les retraites pour lesquels ils devaient cotiser. En France, la réforme du régime général de 1993, qui a augmenté la durée de cotisation et réduit la base de calcul des pensions, a durement rappelé que nos droits à la retraite sont des promesses en l'air. La justice française, saisie sur cette affaire, a même réaffirmé que la sécurité sociale peut changer ses méthodes de calcul comme bon lui semble et que les Français n'ont pas de droit établi aux retraites pour lesquelles ils cotisent. Un contraste saisissant par rapport à la fiabilité conférée aux fonds de pension. (Lire également l'article 6 000 milliards de dollars en 25 ans)
Une
évaluation précise des retraites futures
C'est bien beau de faire des promesses, mais
pour les tenir Calpers doit se soumettre à une comptabilité draconienne.
"Les retraites que nous devrons payer sont entièrement provisionnées,
affirme Bill Crist, c'est à dire que nous sommes sûrs de pouvoir
payer la retraite du plus jeune salarié embauché, au dollar près,
jusqu'au dernier jour de sa vie ou de celle de son épouse." Cette
prouesse requiert deux exercices: le premier consiste à évaluer
les retraites futures, le second vise à accumuler les réserves
nécessaires pour payer ces retraites.
Première étape: combien coûteront les pensions promises aux employés actuels lorsqu'ils prendront leur retraite? Pour répondre à cette question Calpers ne se contente pas de simples hypothèses démographiques mais se livre à une véritable investigation sur le terrain. "Vu les sommes en jeu, des petites erreurs peuvent se transformer en centaines de millions de dollars d'engagements imprévus au bout de deux ou trois ans, explique Patricia Macht. Nous devons vérifier toutes les déclarations des 2 400 employeurs publics participant à notre système, c'est la seule façon d'être sûr que le nombre, l'âge et les salaires des employés qu'ils nous déclarent sont justes."
Des
pensions proportionnelles aux salaires
Contrairement à ce que l'on raconte
souvent sur les fonds de pension, ce ne sont pas des systèmes égoïstes
où chacun épargne pour soi en fonction de ses possibilités.
Il existe bien une nouvelle génération de fonds de pension de
ce type, les fonds 401(k), qui s'apparentent en fait aux plans d'épargne
d'entreprise en France. Mais les fonds de pension comme Calpers sont des caisses
de retraite collectives à prestations définies, c'est à
dire qu'elles versent aux cotisants une pension proportionnelle à leur
dernier salaire en fonction de l'ancienneté qu'ils ont accumulée,
un peu comme les régimes de retraites complémentaires Agirc et
Arrco en France.
Calpers ne fixe pas les droits à la retraite, ils sont le fruit de négociations collectives entre les salariés et les employeurs. Le fonds gère plusieurs plans de retraite dont les règles différent selon qu'il s'agit de la caisse des pompiers, des enseignants ou des brigades routières. Dans le cas des fonctionnaires de l'Etat californien, qui sont le plus grand nombre, il leur suffit de partir en retraite à 60 ans pour obtenir 2% de leur dernier salaire par année d'ancienneté, soit 80% de leur plus haut salaire après quarante ans de carrière.
Une
gestion efficace et transparente
Une fois que ces droits à la retraite
sont fixés et que leurs coûts sont évalués, Calpers
passe à la seconde étape: accumuler les réserves nécessaires.
Le fonds de pension commence par fixer le taux des cotisations salariales et
patronales. Cet exercice se heurte parfois à des divergences d'intérêt
délicates. "En fonction de l'âge et du pourcentage d'hommes
et de femmes qui optent pour une reversion de leur retraite à leur conjoint
après leur décès, il faudrait leur appliquer une réduction
de 15,9% par rapport à ceux qui ne prennent pas l'option de reversion,
au lieu des 13,9% actuellement en vigueur", explique Ron Seeling, le chef
des actuaires de Calpers, devant le conseil d'administration du fonds. Faut-il
appliquer cette réduction ou augmenter les cotisations pour garder le
taux de reversion actuel? Quand effectuer le changement et comment en informer
les cotisants à l'avance pour qu'ils puissent prendre leur retraite plus
tôt s'ils y ont intérêt? Le conseil d'administration décide
finalement qu'il lui faudra plus de réflexion pour prendre ces décisions.
Le rôle du conseil d'administration est fondamental pour garantir que l'argent de Calpers est géré de la façon la plus démocratique et la plus transparente possible. La gestion de Calpers n'est pas directement mise entre les mains des syndicats comme peut l'être la gestion des caisses de retraites françaises. Les syndicats sont garants de l'indépendance de Calpers par l'influence qu'ils ont sur l'élection des administrateurs, mais ils ne siègent pas de plein droit au conseil d'administration. Pour éviter tout risque de collusion politique, Calpers vient même de voter l'interdiction à tous ses fournisseurs de financer les campagnes électorales des administrateurs, un point surtout important pour les administrateurs nommés d'office au conseil de Calpers mais élus au suffrage universel, comme le trésorier payeur général de Californie.
Des
réserves capitalisées pour l'avenir
Si Calpers était un fonds de retraite par répartition, comme nous
en avons en France, ses cotisations suffiraient à payer les retraites
actuelles. Calpers prévoit ainsi d'avoir collecté 1,5 milliard
de dollars de cotisations salariales et 3,5 milliards de cotisations patronales
pour l'exercice qui se termine le 30 juin, soit un total de 5 milliards de dollars
qui couvre largement les 4,7 milliards de dollars versés cette année
aux retraités. La grande différence est que Calpers pense aussi
à l'avenir: les cotisations des salariés de demain ne suffiront
pas à payer les retraites promises aux salariés d'aujourd'hui.
Ce déséquilibre sabotera la solidarité entre générations.
"L'alternative
à la retraite par répartition est de maintenir des réserves
qui nous permettent de toujours payer les retraites futures", insiste Bill
Crist. Les 300 millions de dollars de cotisations excédentaires seront
donc investis pour obtenir la meilleure performance à long terme, c'est
à dire essentiellement en actions (lire encadré Comment
Calpers investit son argent).
L'une des vertus de la retraite par capitalisation est que l'argent mis de côté
rapporte des intérêts qui produisent eux-mêmes des intérêts.
En plus de ses 300 millions de cotisations excédentaires, Calpers réinvestira
cette année 5,6 milliards de dollars de dividendes, intérêts
d'obligations et autres revenus tirés de ses placements boursiers et
immobiliers. Cet effet boule de neige, ajouté à l'envolée
de Wall Street, a permis aux réserves de Calpers de quintupler en treize
ans, passant de 28 milliards de dollars en 1985 à plus de 140 milliards
de dollars aujourd'hui. Les Français soupçonnent peut-être
les fonds de pension de spéculer. Les Américains appellent cela
de la prévoyance.
Gilles Pouzin, dans les coulisses à Sacramento.
Calpers
en chiffres
Création en 1932.
13 administrateurs dont 6 élus par les bénéficiaires.
Président élu jusqu'en janvier 1999: William Cris.t
2400 employeurs du secteur public.
Plus d'1 million de bénéficiaires dont :
-750 000 actifs
-321 000 retraités
Age moyen de départ en retraite: 60 ans
Retraite mensuelle moyenne: 7000 francs
Réserves: 140 milliards de dollars
Budget annuel: 245 millions de dollars
Effectifs: 1 100 employés
Comment
Calpers investit son argent
L'élément le plus important pour
aboutir aux bonnes performances financières réalisées par
Calpers est son allocation d'actifs , c'est à dire sa diversification
entre les actions, les obligations, la trésorerie et d'autres investissements
(voir tableau ci-dessous). Les dettes, le paiement des retraites, les dépenses
de fonctionnement et les cotisations encaissées sont prises en compte
pour déterminer la diversification appropriée. "Notre but
est de maximiser les performances à un niveau de risque prudent, ce qui
requiert un équilibrage permanent entre la volatilité des marchés
et nos objectifs à long terme", explique une note de Calpers. Le
fonds identifie le pourcentage de ses réserves qui doit être investi
dans chaque catégorie d'actifs. Ces objectifs sont ensuite mis en place
sur plusieurs années pour profiter des replis des marchés et lisser
le coût des investissements.
Classes d'actifs |
Allocation actuelle | Objectif stratégique |
---|---|---|
Trésorerie | 0,9% | 1% |
Obligations US | 22,7% | 24% |
Obligations non-US | 3,5% | 4% |
Actions US | 46,8% | 41% |
Actions non-US | 19,5% | 20% |
Actions non-cotées | 2,4% | 4% |
Immobilier | 4,2% | 6% |
Source: Calpers/Pouzin |