Vu d'Amérique > Rédigé le 17 juin 1998
Goldmann Sachs s'ouvre au public :
129 ans pour entrer en bourse.

Après des années de rumeurs démenties et de vraies hésitations, la banque d'affaires américaine Goldman Sachs a annoncé lundi 15 juin son intention de s'introduire en Bourse à l'automne prochain.

Nombreux avantages à rester elle-même
La réticence de Goldman Sachs à se faire coter en Bourse était jusqu'à présent une anomalie paradoxale du capitalisme américain. L'introduction en Bourse est habituellement l'objectif suprême de toute entreprise. C'est le moyen normal de récompenser les salariés en rendant leurs actions négociables et de permettre à la société de se procurer des capitaux sur les marchés financiers. Goldman Sachs était la meilleure avocate de ce modèle, puisqu'elle réalisait l'introduction en Bourse de ses sociétés clientes. Elle trouvait pourtant de nombreux avantages à rester elle-même entre les mains de son élite dirigeante (voir encadré
Goldman Sachs en quelques chiffres).

Chez Goldman Sachs, l'argent de la banque était celui des associés, ce qui les dissuadait de le perdre au casino des produits dérivés, comme Nick Leeson l'avait fait à la Barings. "Notre système rend la banque très prudente dans ses décisions car les associés sont solidairement responsables sur leurs biens propres", résumait dernièrement un responsable de Goldman Sachs à New York. La banque New Yorkaise avait même pallié son handicap à lever des capitaux en vendant une part de son capital en actions non-cotées à la banque Sumitomo et à la fondation des écoles Kamehameha de Hawaii. Cette stratégie lui a permis de rester encore quelques années à l'écart des petits actionnaires. Mais l'ouverture du capital au public offre aujourd'hui plus d'avantages que d'inconvénients.

Des associés millionnaires
L'introduction en Bourse de Goldman Sachs alimente les ragots dans le petit monde doré des salles de marché. Personne ne sait vraiment quel pourcentage du capital possède chacun des 190 associés mais les rumeurs vont bon train sur la valeur de leur pactole. Selon certaines estimations, les actions des plus jeunes associés vaudraient 50 millions de dollars lors de leur entrée en Bourse tandis que les deux co-présidents, Jon Corzine et Henry Paulson, verraient leurs participations valorisées à plus de 125 millions de dollars chacun. En fait il ne s'agit pas d'un réel enrichissement, puisque les associés possèdent déjà les actions qui seront cotées et qu'ils ne les vendront pas à l'occasion de l'introduction. La seule différence est que leur valeur sera soumise à la loi de l'offre et de la demande au lieu d'être fixe et rigide.

La course à la taille continue
Les fusions-acquisitions dans le secteur financier ne connaissent aucun répit. C'est la vraie raison qui pousse Goldman Sachs à entrer en Bourse. Les alliances Citibank-Travelers et Nationsbank-Bank of America ont défrayé la chronique mais les banques d'affaires ont aussi toutes grossi ces dernières années. Morgan Stanley s'est mariée avec Dean Witter, Salomon Brothers avec Smith Barney, Merrill Lynch s'est payée la société de gestion britannique Mercury Asset Management. "L'acquisition de Mercury a été réalisée avec des sommes d'argent auxquelles peu de sociétés ont accès", expliquait ironiquement Richard Strauss, un analyste de Goldman Sachs spécialisé dans les services financiers.

Aussi riches que soient ses associés, Goldman Sachs ne dispose que de 6,6 milliards de dollars de fonds propres, alors que Morgan Stanley en aligne pour 14 milliards de dollars. En s'introduisant en Bourse, Goldman Sachs pourrait voir sa valeur totale atteindre 30 milliards de dollars. Les 10% à 15% de capital qui seront vendus au public devraient lui rapporter entre 2,5 et 3 milliards de dollars pour financer son développement. Ce sera la plus grosse introduction en Bourse jamais réalisée dans le secteur financier. Elle déclenchera une nouvelle vague d'alliances surprenantes.

Gilles Pouzin

Goldman Sachs en quelques chiffres
Fondée en 1869 par Marcus Goldman, rejoint en 1882 par Samuel Sachs.
11 500 employés, 190 associés.
Total de bilan fin novembre 1997: 178 milliards de dollars.
Bénéfices avant impôts exercice 1997: 3 milliards de dollars.
Bénéfices 1er semestre 1998 (fin mai): 2 milliards de dollars
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