Vu d'Amérique > Rédigé le 03 avril 1998
Invest in France :
Comment on vend la France de Jospin aux Texans.

Quand les moeurs économiques françaises sont décriées par les sarcasmes de la presse anglo-saxonne, attirer des employeurs américains dans l'hexagone relève de la mission impossible. Pourtant, les VRP de l'Invest In France Agency, une émanation de la Datar, n'en démordent pas : la France a des atouts formidables.

Les VRP de la France
Au 26ème étage du 5847 San Felipe Boulevard, l'une des innombrables artères sans âme de Houston, Christophe Muller et Bruno Tatéossian reviennent chaque jour à la charge. La Datar a établi sa quatrième antenne américaine à Houston car c'est la quatrième ville des Etats-Unis, avec 4 millions d'habitants. Le Texas couvre à lui seul 1,5 fois la superficie de la France. Mais le bureau de Houston est chargé de tout le sud-est des Etats-Unis, de Denver à Miami en passant par Atlanta.

Perdus dans cette immensité, les VRP de la France doivent d'abord s'armer de patience pour espérer se faire entendre. Environ 200 coups de fil pour décrocher une dizaine de rendez-vous et les voilà deux fois par mois partis prêcher la bonne parole aux curieux qui veulent bien les recevoir. «Nous faisons beaucoup de pédagogie pour sensibiliser les Américains à leur stratégie européenne. Et à partir du moment où une société veut s'implanter en Europe, autant qu'elle le fasse en France», explique Christophe Muller. Les foires commerciales sont aussi leur terrain de chasse favori, comme le salon automobile de Detroit, où les missionnaires de la Datar distribuent rituellement des Invest In France Awards aux Américains méritants.

Promouvoir l'emploi, pas la fuite des cerveaux
Une fois les présentations faites ils doivent rapidement dégainer des arguments affûtés. «En France on a tendance à augmenter l'impôt sur les sociétés alors qu'on le baisse ailleurs. C'est la même chose pour la semaine de 35 heures. Ici c'est ce que les gens voient», reconnaît Christophe Muller avec agacement. Mais les Américains aiment le débat et savent écouter le plaidoyer de la défense. «Quand nos interlocuteurs s'inquiètent de la réduction du temps de travail nous leur expliquons que le calcul des horaires se fera sur une base annuelle et leur offrira plus de flexibilité, et puis les statistiques montrent que les cadres français travaillent en moyenne 45 heures par semaine», poursuit l'avocat de la France.

«Nous sommes considérés comme un pays cher, mais moins cher que l'Allemagne, le Bénélux ou la Suisse, précise son collègue. Selon une étude du Département du travail américain lui même, le coût horaire moyen du travail n'est que de 19 dollars dans l'hexagone, contre 23 dollars en Hollande et 32 dollars en Allemagne. Une fois évacuées les questions désagréables, les VRP de la France contre-attaquent avec leurs arguments de choc. «La France a une position géographique et commerciale privilégiée dans la construction européenne, résume Christophe Muller, c'est bien passé dans l'esprit des Américains. Et nous avons une main d'oeuvre très qualifiée, disponible et pas cher. C'est un argument qui fait mouche car ici ils ont du mal à trouver du personnel qualifié.»

On estime que les Etats-Unis manquent de 350 000 ingénieurs dans les technologies de l'information et les salaires d'embauche des ingénieurs télécom débutants dépassent 300 000 francs par an tellement ils sont rares. «Il est même arrivé que des sociétés nous demandent comment attirer des ingénieurs français aux Etats-Unis, mais ce n'est pas notre vocation», reconnaissent les représentants de la Datar. L'Invest in France agency se doit de promouvoir l'emploi au pays, pas la fuite des cerveaux.

C'est l'entrepreneur qui choisira où il veut investir
En dehors de la région Côte d'Azur, qui a ouvert son propre bureau de développement en Californie, la promotion des régions françaises est bien encadrée. Chaque fois qu'un rabatteur de l'Invest in France agency repère un prospect (lire encadré Invest In France en chiffres), il établi une fiche décrivant la société et son projet. Un comité centralise ces informations à Paris et transmet la fiche aux partenaires régionaux de la Datar en fonction des préférences géographiques du prospect. Les municipalités, chambres de commerce et autres agences de développement cantonales sont alors en compétition pour attirer les précieuses créations d'emplois. «C'est une saine concurrence, explique Christophe Muller, car les candidates françaises sont souvent en compétition avec des régions étrangères, par exemple en Allemagne. Elles doivent faire les propositions les plus convaincantes car au final c'est l'entrepreneur américain qui décidera où il veut investir.»

En fait, c'est bien sur le terrain américain que la concurrence est la plus rude. «Lors de nos prospections nous entendons souvent parler de l'Invest in Britain Bureau, de l'Irish Development Agency et de la Netherland Foreign Agency qui ont en général plus de moyens que nous», confirme Bruno Tatéossian. Bien sûr, les aides et subventions multiples sont des atout appréciées dans ce genre de concours de beauté. Mais les chargés de mission de Houston estiment qu'elles ne sont pas primordiales. «Si l'on regarde uniquement les subventions et les coûts les plus bas, il faut bien reconnaître que la position de la France n'est pas des plus compétitives», admettent-t-ils. Leur combat principal reste la lutte contre les préjugés. «Il y a des choses qui se passent en France qui ne sont pas comprises ici», glisse Christophe Muller, tout en reconnaissant que la réciproque est probablement aussi vraie.

Gilles Pouzin

Invest In France en chiffres
- 17 bureaux dans le monde dont 4 aux USA.
- 23 000 emplois créés ou maintenus en France en 1997 grâce à l'arrivée d'investisseurs étrangers, dont 4 500 grâce à des employeurs américains.

Tableau de chasse des VRP de la France à Houston
- Unidata, une société de Denver, Colorado, spécialisée dans les logiciels de bases de données relationnelles, a racheté 02 Technologies à Versailles dont elle va faire son centre mondial de recherche-développement, en gonflant l'effectif de 120 à 420 personnes.
- Sykes, une société de Tampa, Floride, qui sous-traite du support technique pour les grands noms de l'informatique comme Microsoft, Apple ou Hewlett Packard, a décidé en décembre d'implanter un centre d'appel aux Ulysses, dans la banlieue parisienne. En juin son centre des Ulysses emploiera plus de 330 téléopérateurs.
- Trilogy, un éditeur de logiciels de marketing à Austin, Texas, a ouvert un bureau commercial à Paris de sept personnes début 1997.
- Matrix Solar, un spécialiste de l'énergie solaire à Dallas, Texas, a racheté l'été dernier Photo Watt, une entreprise du même secteur de 120 personnes à Bourgouin Jailleu, France.


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