Vu d'Amérique >

Rédigé le 07 février 1998
Miami, le nouvel eldorado :
Les Français s'installent dans cette nouvelle capitale de l'Amérique latine.

Oubliez les clichés de la série Miami Vice, aujourd'hui la ville arbore le slogan plus aguicheur de Miami Nice. Miami Beach, cette île d'une quinzaine de kilomètres de long qui sépare Miami de l'Océan, s'est bâtie une réputation de capitale de la mode des années 90. Bien sûr l'immense demeure à colombages du 1116 Ocean Drive est en deuil depuis l'assassinat l'été dernier de son propriétaire, Gianni Versace. Mais les stars continue à s'y plaire, notamment Madonna, Silvester Stallone ou Julio Iglesias. Même Michel Sardou et Johnny Hallyday y ont longtemps séjourné, tandis que Régine vient d'y ouvrir le Jimmy's, une adresse que les 200 000 touristes français qui passent chaque année par Miami pourront ajouter à la liste des boîtes de nuit françaises de Washington Avenue, le Bash ou le Dining Room.

Miami, plaque tournante de l'Amérique latine où l'argent coule à flots
Pour les milieux d'affaires, Miami offre néanmoins plus d'attraits que les fêtes sans fin et les défilés de mannequins de son faubourg insulaire. Premier aéroport de fret des Etats-Unis et second aéroport international de voyageurs, Miami est devenue un point stratégique pour l'Amérique latine. Les banques y ont poussé et l'argent coule à flots, faisant de la Floride le nouvel eldorado des Français d'Amérique. Avec un PIB qui a triplé en quinze ans pour atteindre 369 milliards de dollars en 1996, soit presque autant que l'Australie ou les Pays Bas, la Floride est la seizième puissance économique mondiale.

En venant du nord par la route US 1 qui longe la côte est, on est d'abord frappé par l'urbanisation galopante. De West Palm Beach à Miami, en passant par Boca Raton et Fort Lauderdale, l'agglomération s'étale sur plus de 200 kilomètres sans discontinuité. Mais c'est en arrivant à Miami que l'effervescence est la plus saisissante. En prenant Mac Arthur Causeway, le remblais de cinq kilomètres bordé de palmiers qui relie Miami Beach au continent, on longe d'abord les installations portuaires, de l'autre côté du canal, avec leurs rangées de containers bien alignées. 40% des exportations des Etats-Unis vers l'Amérique latine passent ainsi par la Floride.

«Miami est la plaque tournante de l'Amérique latine», insiste Nicolas Topiol, l'un des deux Français fondateurs de New Field Partners, une société de négoce de riz basée à Miami. «Les latino-américains consomment 30 à 60 kilos de riz par an contre 4,5 kilos pour les Français ou les Américains, explique-t-il. Nous exportons 220 000 tonnes de riz par an ce qui fait de nous le quatrième exportateur de riz des Etats-Unis, si l'on exclut les coopératives.» Ludovico Manfredi, que Nicolas Topiol a rencontré à l'université de Wharton, avait créé New Field Partners en 1992 grâce au soutien d'investisseurs industriels de Bogota. Leur société réalise aujourd'hui 115 millions de dollars de chiffre d'affaires. «Avec notre marque Jumbo Rice nous avons une activité de distribution plus stable que le négoce pur, confie Nicolas Topiol. Nous assurons déjà 45% des importations de riz du Nicaragua et 75% de celles du Honduras, demain nous avons un bateau de 20 000 tonnes en partance pour le Costa Rica.»

Les banques poussent comme des champignons
L'explosion de la place financière de Miami est également spectaculaire. En arrivant par le port on aperçoit d'abord l'imposante Sun Trust Tower, qui domine le centre ville de sa soixantaine d'étages. Derrière, la tour cylindrique de la NationsBank offre un éclairage féérique: verte un soir, jaune, blanche ou mauve le lendemain. «Quand je suis arrivé ici en 1972, il n'y avait que des marécages», se souvient Jacques Renaud, directeur du bureau des Chantiers de l'Atlantique à Miami. Depuis, les gratte-ciel poussent comme des champignons le long de Brickell Avenue, le quartier des banques. L'immeuble argenté de la Barnett Bank, rachetée l'an dernier par NationsBank, la façade de pierre noire de la Bank Leumi Israel, celle de verre émeraude du Banco Industrial de Venezuela, et puis la Dresdner Bank Lateinamerika, le Banco Santander ou la Compagnie Bancaire Genève: elles sont toutes là. La Barclays Bank a établi son quartier général pour l'Amérique latine ici tandis que la Lloyds bank de Londres a abandonné New York et transféré tous ses comptes américains à Miami en 1997, à l'image de la BNP un an plus tôt. «Nous avons toujours nos activités de banque d'affaires à New York mais il n'y a pas de handicap à ne pas y être pour nos activités de banque privée, car nous faisons surtout du conseil et du marketing», explique Denis Madaule, directeur du centre de coordination régional pour la gestion privée de la BNP.

Comme la plupart des banques, c'est pour les millionnaires d'Amérique latine que la BNP est venue à Miami. Brickell Avenue bénéficie en effet d'un statut de quasi-paradis fiscal où les banques étrangères peuvent pratiquement offrir les mêmes avantages que les banques off-shore des Caïmans à condition de ne pas avoir de clients américains. «90% de notre clientèle est latino-américaine et 10% européenne ou asiatique, confirme Denis Madaule. L'offre BNP Suisse est la plus prisée sur l'Amérique latine.» Selon une étude citée par les banquiers locaux, les fortunes d'Amérique latine gérées à l'étranger atteignaient 330 milliards de dollars en 1995, dont 50% abrités en Suisse et 32% aux Etats-Unis.

Quand les hommes d'affaires passent, le commerce suit
Si l'argent vient à Miami c'est qu'il est facile de s'y rendre. Avec 34,5 millions de passagers transportés en 1997, Miami est devenu le second aéroport international des Etats-Unis. Ses 150 lignes aériennes desservent 185 destinations dans le monde et offrent en moyenne 1 460 vols quotidiens, soit environ un par minute.

Cette ville est la seule au monde à relier quotidiennement les principales métroples d'Amérique latine. «Quand nous étions à Mexico il n'y avait pas de vols directs réguliers vers l'Argentine ou le Brésil et l'on était obligé de passer par Miami pour aller en Colombie, au Venezuela ou en Amérique centrale», explique Patrick Cerceau, directeur général d'AXA Ré Latin America, qui a déménagé son siège à Miami au début de 1997. Cette commodité des transports attire aussi les visiteurs. «Quand j'étais à Caracas j'ai du recevoir cinq clients étrangers en dix-huit mois, depuis que nous sommes basés à Miami j'en reçois trois par semaine», résume Clément Jourdain, directeur de la succursale de réassurance des Mutuelles du Mans pour l'Amérique latine, qui a installé son siège dans le quartier historique de Coral Gables en mars 1996. Quand les hommes d'affaires passent, le commerce suit. Miami revendique le rang de premier aéroport de fret des Etats-Unis, et troisième du monde, avec 1,8 million de tonnes de marchandises transportées par an.

Miami Free Zone
La ville offre également des zones franches qui permettent de réexporter des marchandises, ou de les vendre en duty-free aux étrangers, sans passer par les douanes américaines. La première, Miami Free Zone, occupe plus de vingt hectares d'entrepôts à l'ouest de l'aéroport tandis qu'une nouvelle zone franche vient d'être aménagée sur plus de 5 hectares à deux kilomètres du port. Sanofi Beauté, troisième groupe mondial de parfums et cosmétiques, a implanté en mars 1995 son centre de distribution pour toutes les ventes duty-free des Etats-Unis et des Caraïbes à Miami. Parmi les marques de luxe françaises ayant une filiale de distribution à Miami figurent également Les Must de Cartier ou Bell & Ross, un petit fabricant de montres qui réalise 65% de ses ventes aux Etats-Unis et dont Chanel vient d'acheter 30% du capital.

La fièvre des duty-free doit beaucoup au tourisme de croisière, dont Miami détient le record mondial. Avec 3,2 millions de passagers embarquant chaque année sur un paquebot de rêve, le Miami Seaport revendique 40% du marché sur la planète bleue. Une aubaine inespérée pour la construction navale. «L'industrie des croisières progresse d'environ 8% par an depuis quinze ans, se réjouit Jacques Renaud. Cette activité génère près de 5 milliards de dollars par an pour le comté de Miami.» Coup sur coup, la filiale de GEC Alsthom a reçu fin janvier six commandes fermes et deux options pour la construction de bateaux dont la valeur est estimée entre 300 et 350 millions de dollars chacun. «De quoi assurer des millions d'heures de travail jusqu'en 2001 pour les 4300 ouvriers des chantiers de Saint Nazaire et pour les dizaines de milliers d'employés de nos 1100 sous-traitants», estime Jacques Renaud, dont la mission à Miami est surtout d'assurer le service après-vente auprès des armateurs.

L'explosion démographique est une aubaine
Si l'argent coule à flot dans les coffres de Miami c'est que les latino-américains s'y sentent chez eux. D'abord parce que Miami est une ville d'Amérique latine. «Ce n'est pas un snobisme, c'est la réalité, au bureau on ne parle qu'espagnol», avoue Clément Jourdain. Plus de 50% des 2,2 millions d'habitants du comté de Miami sont d'origine hispanique, dont près de 600 000 Cubains. Du coup, les latino-américains ont tous des attaches ici, qui des parents, qui un pied-à-terre, un fils étudiant ou un compte en banque. «Dans certains pays il peut être dangereux d'afficher sa richesse, alors ils viennent ici montrer leur Rolex ou leur Porsche», résume un banquier. Du coup les Mercedes, Jaguar et BMW sont trop courantes pour se faire remarquer sur Ocean Drive, la promenade des Anglais de South Beach. Rolls et Ferarri sont à peine plus rares.

Surtout, la fièvre spéculative s'est emparée de l'immobilier, et quelques Français ont su en profiter. «Il y a huit ans, la moyenne d'âge de Miami Beach était de 65 ans, puis le quartier Art Déco a été réhabilité et Ocean Drive est devenu un endroit branché», raconte Jean-Marc Meunier, directeur général de Constructa US, un promoteur immobilier qui a gagné ses marques de noblesse à Miami en construisant Cocowalk, le premier centre commercial et de loisirs en plein air des Etats-Unis. Leur immeuble du 1500 Ocean Drive se place comme des petits pains. «Nous avons vendu 92 appartements sur 114 en deux ans et l'envolée du marché nous a permis de remonter nos prix de 230 dollars à 400 dollars par pied carré», reconnaît Jean-Marc Meunier. A 25 000 francs le mètre carré, il estime encore que le quartier a de l'avenir.

L'explosion démographique de la région est aussi une aubaine pour les champions des services publics, comme la Générale des eaux. Sa filiale de traitement des ordures, Montenay, a installé son siège dans le quartier de Coconut Grove après avoir remporté la concession de l'usine d'incinération de Miami, la plus grosse du monde avec une capacité d'un million de tonnes par an. «Après une période d'essais en 1985 nous avons obtenu un contrat jusqu'en 2013, se félicite Michel Gourvennec, président de Montenay USA. Compte tenu de la consommation et du tourisme, les Floridiens rejettent en moyenne 4 kilos d'ordures par jour, soit quatre fois plus que les Français. Avec ses 15 millions d'habitants la Floride représente donc un marché aussi important que la France.»

Une porte d'entrée aux Etats-Unis
En plus de l'ouverture sur l'Amérique latine, la Floride offre un marché domestique et une porte d'entrée privilégiée sur les Etats-Unis. «Nous avons une représentation commerciale et une base d'achat et de sous-traitance qui réalise entre 90 et 150 millions de francs de chiffre d'affaires selon les années, soit autour de 10% à 15% des ventes du groupe», estime Raphaël Bolzan, qui a implanté la filiale américaine de Latécoère à Miami en 1984. Le fabricant d'hélicoptères n'est pas le seul à miser sur la Floride. Avec une quinzaine d'entreprises du secteur, Raphaël Bolzan a créé le French Aerospace Committee, qui regroupe notamment Airbus et Sextant Avionique.

Enfin, les vins français ont aussi leur défenseur à Miami, en dépit d'une part de marché de 4% qui les place aujourd'hui derrière les vins italiens aux USA. «La Floride est le deuxième ou troisième consommateur d'alcool des Etats-Unis», indique Hubert Surville, président de Marie Brizard Wines and Spirits, qui réalise 33 millions de dollars de chiffre d'affaires sur le continent et dont le siège est à Miami. Les agrumes ne sont plus que le trente et unième produit d'exportation de la Floride. Mais les Français arrivent quand même à se développer sur ce marché. «Nous exportons 20 000 tonnes de pamplemousses frais par an dont 7 000 tonnes vers la France», explique Véronique Sallin, co-fondatrice avec son mari de IMG Citrus. En 1979, cinq ans après leur sortie d'HEC, les deux Français achètent quelques vergers dans la région d'Orlando, à 350 kilomètres au nord-ouest de Miami. Aujourd'hui ils cultivent 900 hectares et réalisent 25 millions de dollars de chiffre d'affaires.

Accessoirement, le climat fiscal est aussi favorable aux affaires car, en dehors de l'impôt fédéral, la Floride ne prélève pas d'impôt sur le revenu.

Gilles Pouzin
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