Vu d'Amérique > |
Rédigé le 13 décembre 1997 |
Travailler à l'étranger est une alternative de plus en plus séduisante pour s'ouvrir de nouveaux horizons ou simplement échapper à la grisaille du chômage. Le dynamisme de l'économie américaine en fait une destination privilégiée. Le chômage y est quasi-inexistant, la consommation, l'immobilier et les marchés financiers explosent. Le marketing est roi et la révolution technologique a une longueur d'avance. Faites pourtant attention de ne pas emmener une image trop parfaite du rêve américain dans vos bagages. Car même quand on a obtenu son visa, sa couverture médicale et son billet d'avion, l'Amérique réserve quelques écueils singuliers.
Trois
besoins simples
Après neuf mois de préparations pour bâtir mon projet américain je pensais ne
plus avoir à trop me soucier des détails. Après tout, l'Amérique n'est pas la
destination la plus inhospitalière quand on a fait du troc à Moscou, vécu dans
les faubourgs de Tunis ou traversé Java en bus. La seule différence est qu'en
débarquant aux USA on pense arriver en terrain conquis, par la civilisation
en tous cas. On se dit que le royaume de la carte de crédit est bien le dernier
endroit du monde où il faut emmener des piles de billets de banque et de travellers
chèques pour survivre. Mais on est Français, et cela fait au moins deux différences
avec les Américains : premièrement on est étranger, deuxièmement on est habitué
sans le savoir à un haut niveau de service public. L'exemple des moyens de paiement
est une carricature des frustrations qu'un Français peut rencontrer en s'installant
aux USA : les banques américaines ne sont pas des services publics et ne sont
pas faites pour les étrangers.
Pour travailler, j'avais trois besoins simples : un logement, faisant aussi office de bureau, un ordinateur et un téléphone. Mais fallait-il encore pouvoir les payer. C'est là que l'Amérique se complique. Il faut beaucoup d'argent ou beaucoup de chance pour se loger rapidement à New York. Les quelques Français installés dans des appartements meublés que j'ai rencontré payaient respectivement 1750 dollars pour un petit deux pièces vers la 4Oème rue, 2500 dollars pour un trois pièces près des Nations Unies, 3000 dollars pour un autre deux-pièces de 80 mètres carrés. Ceux qui sont là depuis plus longtemps s'estiment heureux quand ils trouvent un studio ou un deux pièces non meublé à respectivement 950 ou 1100 dollars. En faisant circuler mon annonce de bouches à oreilles dans la "French connection" j'ai pu avoir un studio meublé dans Soho à sous-louer clandestinement pour 1000 dollars par mois. «Pourquoi ce sont toujours les Français qui ont les meilleurs emplacements?» m'a simplement fait remarquer une collègue américaine.
La banque
n'est pas facile...
N'ayant pas encore de compte bancaire aux Etats-Unis et ne pouvant pas payer
mon logeur par carte il ne me restait qu'à tirer du liquide. J'entrais donc
dans une agence American Express pensant que j'aurais plus facilement les 2000
dollars dont j'avais besoin qu'au distributeur. Stupeur. «Vous ne pouvez pas
retirer plus de 1000 dollars par semaine sur votre carte.» Comme les publicités
pour ce rectangle de plastic vert m'avaient convaincu du contraire je m'offusque
de son refus. «Si vous voulez des explications appelez le numéro qui est derrière
votre carte», me lance la guichetière. Bien sûr c'est un numéro à Paris. Une
autre idée me vient pour trouver du liquide : pourquoi ne pas acheter des travellers
chèques? Après tout American Express est leader mondial des travellers chèques,
ils doivent pouvoir m'en vendre non? «Non monsieur! Les travellers cheques c'est
comme du liquide, vous ne pouvez pas les acheter avec une carte de crédit, même
si c'est une American Express.»
La parade la plus évidente est bien sûr d'ouvrir un compte dans une banque américaine. La Chase Manhattan Bank, numéro un aux Etats-Unis, paraît un bon choix. D'autant plus qu'elle submerge les écrans de télévision avec des slogans prometteurs : «L'amour n'est pas facile, la banque est facile... Le Golf n'est pas facile, la banque est facile...» J'entre donc dans une grande agence de la Chase à deux pas de Wall Street pour y ouvrir un compte. «Il suffit d'une quittance de loyer ou d'une facture d'électricité prouvant que vous êtes résident ici, m'explique le chargé de clientèle. Si vous n'êtes pas résident permanent il nous faudra une lettre de recommandation de votre banque en France, en Anglais évidemment.» C'est le cercle vicieux : pas de compte bancaire sans logement et vice-versa. Renseignements pris auprès d'un expatrié fraîchement arrivé à Manhattan, son employeur français l'a pistonné pour voir un compte bancaire américain. Sans cela il faut un peu de patience.
Casse-tête
américain...
Par chance, un ami m'évite ces tracasseries en m'ouvrant un compte dans une
petite banque arabe privée sur simple présentation de mon passeport. Il faut
compter environ une semaine pour approvisionner ce compte par virements depuis
la France et virer des grosses sommes pour diminuer l'impact des frais et commissions
(environ 265 francs pour un virement de 4000 dollars depuis le Crédit Lyonnais).
Evidemment tout cela n'est possible que si vous avez eu la bonne idée de donner
une procuration totale sur vos comptes à un parent de confiance avant de partir.
Sinon, une autre stratégie consiste à tirer chaque semaine le maximum de liquide
autorisé par votre carte de crédit et à le déposer sur votre compte américain,
ou dans votre bas de laine en attendant d'avoir un compte.
Une fois que vous avez un toit, il vous faut un ordinateur et un téléphone pour vous remettre au travail. Quoi de plus simple au paradis du multimédia et des autoroutes de l'information? Après avoir visité les principaux revendeurs de Big Apple et évalué mes besoins j'opte pour un Macintosh PowerBook de l'avant-dernière génération, plus abordable que les derniers modèles. Je passe au kiosque acheter Macworld et me plonge dans les publicités de vente par correspondance pour comparer les prix. Après une dizaine d'appels je finis par trouver un ordinateur disponible en Californie. Je passe commande et donne mon numéro de carte. Les problèmes recommencent : «Désolé monsieur, nous ne pouvons pas accepter votre commande car l'adresse d'expédition est différente de l'adresse de facturation de votre carte.» Evidemment! C'est une carte française. Je ne vais pas me faire livrer à Paris alors que je suis à New York! Après 24 heures de suspens la Californienne préfère transgresser ses règles que de rater une vente. Plus tard, j'ai fait enregistrer mon adresse américaine par American Express pour qu'elle soit reconnue par les commerçants.
...
credit check
Mais il ne suffit pas d'avoir une adresse aux Etats-Unis pour s'abonner au téléphone.
Surtout s'il s'agit d'un téléphone mobile. Après avoir fait mon étude de marché
j'opte pour l'achat d'un combiné Samsung à 150 dollars avec un abonnement Sprint
de 30 dollars par mois qui donne 120 minutes de communications avec une surcharge
d'environ un dollar la minute pour appeler la France. Il suffit pour bénéficier
de cette offre de répondre aux questions d'une agence de vérification de crédit
qui certifie à la société de téléphone qu'elle peut accepter ma carte de crédit
sans crainte.
Sans le savoir je viens de découvrir le sommet de l'incompétence du système de paiement américain : le "credit check". Avec un numéro de Sécurité Sociale français à 13 chiffres, au lieu de 9 aux USA, je n'ai aucune chance d'être reconnu par le logiciel de "credit check". Même si je passais cet obstacle technique je ne serais pas répertorié dans la banque de données, exclusivement américaine, des bons payeurs. Qu'elle soit Visa ou Amex, Premier ou Super-Gold, votre carte étrangère ne vaut rien auprès des systèmes de "credit check" américains. Je menace de les attaquer pour "discrimination", la plus grave des accusations au pays de l'égalité des chances, mais rien n'ébranle un système de "credit check".
Bredouille, je tente un nouveau raid sur l'assistance internationale d'American Express et explique les détails de cette scène ubuesque à une Américaine francophone. «Ils devraient savoir que tout le monde n'est pas Américain, me concède-t-elle compatissante. Parfois j'ai honte de mon pays. Retournez-y et dites leur de nous appeler. Nous leur donnerons toutes les garanties sur votre historique de paiement et ils devront accepter votre carte.» Rebelotte. Me voici chez Sprint en train d'appeler American Express : posez vos questions, la dame va vous dire que je suis un bon payeur. «J'aimerais bien, m'explique le vendeur. Mais ce n'est pas moi qui pose les questions, c'est l'agence de "credit check" Light-Bridge que mon ordinateur interroge à distance.» Impossible de sortir de cet imbroglio. Pour obtenir mon abonnement, je dois finalement verser une caution supplémentaire de 250 dollars que je doute de pouvoir récupérer aussi facilement que je l'ai payée. J'apprends plus tard que le seul moyen de se faire reconnaître des agences de "credit check" est de se construire un historique de bon payeur aux Etats-Unis pendant des mois.
Eviter
à tous prix le misérabilisme
«Oui, c'est bien ça l'Amérique. Une façade clinquante impeccable, et une arrière
cours minable», me confirme un habitué. Il faut cependant éviter à tous prix
le misérabilisme. Les Etats-Unis sont peuplés d'immigrés venus dans des conditions
mille fois moins confortables que les nôtres et qui s'en sortent très bien.
Grossis à la loupe, ces dysfonctionnements sont un sérieux coup de canif dans
la réputation de service irréprochable des sociétés américaines. Mais ce ne
sont pas des obstacles insurmontables si l'on sait s'adapter. Le seul problème
est qu'ils vous font perdre un temps précieux, surtout au début de votre installation,
au moment où vous avez le plus besoin d'énergie pour établir l'avant-poste de
votre entreprise. Un handicap qui peut créer de fâcheux malentendus si vous
devez donner rapidement des preuves d'efficacité à votre employeur qui se plaint
de ne pas pouvoir vous joindre et de ne pas recevoir les premiers rapports qu'il
vous a demandé en urgence.