Vu d'Amérique > | Rédigé le 24 février 1998 Bienvenue chez Templeton : Pourquoi ce gestionnaire de Floride investit en France. |
Jeudi 12 juin 1997, une heure de l'après midi, la moiteur étouffante de Fort
Lauderdale a plongé le quartier général de Templeton dans une torpeur silencieuse.
Sous son apparente tranquilité, cette société de gestion de Floride vient pourtant
de déclencher un mini raz de marée à 7 300 kilomètres de sa porte : à Paris.
Avec le décalage horaire il est 19 heures quand la nouvelle tombe sur les téléscripteurs
de l'AFP : «Templeton Global Investors détient 10,69% du capital de la Scor»,
le numéro un français de la réassurance.
Après s'être illustré dans les dossiers du Crédit Foncier ou d'Eramet et avoir acquis des positions stratégiques dans le capital de Pechiney, Renault ou de la BNP, Templeton soulève à nouveau des interrogations. Quel est cet investisseur sans visage qui bouscule le capitalisme à la française depuis son repère tropical? Quelles sont ses aspirations? Ses méthodes? Pourquoi est-il prêt à miser 30 milliards de francs sur des sociétés françaises?
Les achats
francais de Templeton sont restés longtemps inaperçus
Mardi 17 février 1998. A l'angle de Broward boulevard et de la route US 1, la
tour de verre argentée de Templeton est toujours bercée par le ronronnement
des climatiseurs. Dans son bureau d'angle du vingt et unième étage, Don Reed,
le président de Templeton Investment Counsel, vient de raccrocher le téléphone.
Il tire un fauteuil en cuir sur le parquet d'acajou et allume une cigarette.
«Nous investissons en France depuis des années, pour les mêmes raisons que nous
achetons d'autres sociétés dans le monde entier, glisse-t-il d'un air complice.
Parce qu'elles sont bon marché!» Si les achats français de Templeton sont restés
si longtemps inaperçus c'est parce que la société était encore modeste récemment
(voir le tableau Les valeurs détenues par Templeton).
Malgré les bonnes performances réalisées depuis 1954 par son fondateur, Sir John Templeton, ses fonds d'investissements drainaient moins de capitaux auprès des épargnants américains que ceux de son concurrent Fidelity. «En juillet 1992, quand Sir John a vendu Templeton à Franklin, nous ne gérions encore que 18,5 milliards de dollars. Nous en gérons aujourd'hui plus de 100», résume Don Reed.
Le plus
gros gestionnaire américain à l'étranger
Grâce à l'expertise commerciale de son nouvel actionnaire, Franklin Templeton
est devenue l'une des plus grosses sociétés de gestion des Etats-Unis et certainement
l'une des plus internationalisées. «Nous sommes le plus gros gestionnaire américain
à l'étranger, avec 16 milliards de dollars gérés pour des clients hors des Etats-Unis,
annonçait Charles Johnson, le président-fondateur de Franklin, lors d'une visite
en septembre dernier à son siège européen d'Edimbourg. Nous gérons déjà plus
de 5 milliards de dollars pour plus de 100 000 clients européens.» Aujourd'hui,
l'ensemble Franklin-Templeton, qui a également racheté les fonds du raider new-yorkais
Michael Price, gère un peu plus de 220 milliards de dollars. Mais Templeton
reste le porte drapeau du groupe à l'étranger.
«Templeton fut l'un des premiers gestionnaires américains à investir à l'étranger car il pensait que cela multipliait les opportunités par rapport au choix existant sur un seul marché», raconte Don Reed en jetant un coup d'oeil sur l'océan bordé de palmiers qui s'étend à perte de vue derrière sa vitre panoramique. Comme il ne suffit pas de s'élargir les horizons pour réussir, Templeton cultive aussi la patience. «Les gens qui annoncent le prochain krach se trompent souvent, expliquait ainsi Charles Johnson devant son état major d'Edimbourg. Depuis cent ans, les actions américaines doublent en moyenne tous les huit ans. Si l'histoire se répète l'indice Dow Jones pourrait être à 16 000 en 2005, à 32 000 en 2013 et à 64 000 en 2021.»
Eviter
l'esprit de troupeau...de Wall Street
La méthode la plus caractéristique de Templeton est cependant son esprit de
contradiction qui consiste à aller à l'encontre des idées toutes faites pour
échapper aux modes boursières sans lendemain. «Nous essayons de trouver des
sociétés qui ont des difficultés à court terme et nous essayons de les imaginer
dans cinq ans, explique Peter Nori, gestionnaire du fonds Templeton Global Smaller
Companies. Nous essayons d'acheter dans un creux de rentabilité si nous pensons
qu'une société retrouvera la marge normale de son secteur. Et quand les choses
vont trop bien, nous vendons.»
Selon lui, l'environnement idéal pour acheter des valeurs cycliques est par exemple quand elles perdent de l'argent et que leurs perspectives sont mauvaises. «Cette approche explique aussi pourquoi nous n'avons pas notre siège à New York, plaisante Peter Nori. Nous essayons d'éviter l'esprit de troupeau en nous tenant à l'écart des poncifs de Wall Street.» Sir John Templeton, qui s'est installé aux îles Bahamas dans les années 60 et y réside toujours, a même longtemps refusé d'avoir une succursale aux Etats-Unis. Ce n'est qu'en 1979 qu'il a accepté d'ouvrir des bureaux à Fort Lauderdale, parce que c'était à moins d'une heure d'avion de Nassau.
La défense
de petits actionaires
Grandir pose parfois d'autres problèmes inattendus. En devenant un gros actionnaire
Templeton a découvert que les patrons non-américains n'étaient pas toujours
commodes. «Nous sommes généralement bien accueillis car les sociétés savent
que nous n'allons pas retirer notre investissement au bout de six mois, tempère
immédiatement Don Reed. Nous gardons chaque titre en moyenne cinq ans et il
y a des sociétés que nous détenons depuis quinze à vingt-cinq ans.» Sous leur
air débonnaire, les gestionnaires de Templeton savent pourtant se mettre en
colère. «Si une société a changé de direction par rapport à ce qu'elle nous
avait dit, c'est un problème de crédibilité, poursuit Don Reed. Si une société
nous dit qu'elle va faire quelque chose et qu'elle fait autre chose, bien sûr
nous allons lui parler. Quand il arrive quelque chose que nous n'aimons pas
particulièrement, nous étudions toutes les options disponibles. Nous pouvons
voter d'une certaine manière, nous pouvons repousser une assemblée pour que
les dirigeants revoient leur position ou nous pouvons entamer une procédure
juridique.»
La judiciarisation à outrance est une maladie américaine, mais en s'attaquant aux patrons et aux gouvernements qui se croient au dessus des lois, Templeton oeuvre pour la défense des petits actionnaires dans de nombreux pays. «Il y a des situation où nous avons fait confiance à des dirigeants d'entreprises qui ont trahit cette confiance en étant malhonnêtes dans leur gestion et l'établissement de leurs comptes, s'offusquait récemment Marc Mobius, président de Templeton Investment Management à Singapour. Nous leurs faisons des procès. Nous en avons un en Hongrie et un au Brésil.»
En France, Templeton a du taper du poing sur la table plus d'une fois. Dans le cas du Crédit Foncier de France, par exemple, dont Templeton était devenu le premier actionnaire. L'Américain avait très mal pris qu'on lui annonce en avril 1996 que l'actif du Crédit Foncier ne valait plus que 47 francs par action alors qu'une déclaration approuvée par la COB quatre mois plus tôt l'évaluait à 314 francs par action. Un an plus tard, en avril 1997, Templeton a carrément menacé de boycotter les privatisations françaises si l'Etat réquisitionnait les mines de nickel calédoniennes d'Eramet, dont il était actionnaire. «Templeton a investi dans des sociétés françaises dont les qualités fondamentales ont été changées par la politique», répondait sobrement Charles Johnson sur ce point épineux.
Changer
les mentalités
Aujourd'hui la tension est redescendue. «En cinq ans nous avons accru la part
des actions européennes de 25% à 50% de nos portefeuilles mondiaux, résume Peter
Nori. Environ 8% à 10% de nos portefeuilles hors-Etats-Unis sont investis en
France et nous avons enregistré de très bons succès, notamment avec les banques
et les assurances» Les mésaventures françaises de Templeton lui ont néanmoins
laissé des séquelles. «Le problème central reste de savoir si oui ou non les
sociétés vont faire de bonnes choses pour leurs actionnaires, s'interroge Simon
Rudolph, qui supervise les investissements français depuis Fort Lauderdale.
C'est très important car nous ne voulons vraiment pas investir dans des sociétés
qui font des promesses et ne les tiennent pas, qui disent qu'elles vont se débarrasser
des activités non stratégiques et qui n'en donnent pas de preuves. C'est cette
mentalité que nous avons besoin de voir changer.»
La discipline que les gestionnaires américains imposent aux sociétés cotées peut leur sembler inacceptable. La différence avec Templeton, c'est qu'il partage absolument les mêmes contraintes puisque le groupe est coté à Wall Street et soumis à l'inquisition des analystes. «Franklin-Templeton a généré une croissance de ses bénéfices de 28% par an depuis cinq ans avec une rentabilité de ses fonds propres de 27% en moyenne, nous avons mis l'action sur notre liste d'achats prioritaire», commente Richard Strauss, spécialiste du secteur à la banque d'affaires Goldman Sachs.
Si Templeton attend d'aussi bonnes performances des sociétés françaises qu'il achète, c'est un beau défi lancé à leurs dirigeants.
(1) Templeton détiendrait
7,6% et sa maison mère, Franklin, environ 3%.
(2) Les certificats d'actions cotés aux Etats-Unis (ADR) sont pris en compte
dans la valeur de la participation mais pas nécessairement dans le pourcentage
du capital.
(3) Cette information est exhaustive lorsqu'elle est publiée à l'occasion d'un
franchissement de seuil, elle peut-être partielle dans les autres cas car Templeton
ne dévoile pas la totalité de ses participations.
Source: Gilles Pouzin/Technimetrics