Wall Street > Rédigé le 28 novembre 1995
Les locomotives de Wall Street :
Revue de détail des secteurs qui ont tiré la Bourse américaine.

Du haut de ces records, 30 000 milliards de francs vous contemplent. En voyant sa capitalisation boursière s'accroître de 7 500 milliards de francs sur les dix premiers mois de 1995, soit autant que le PIB français, Wall Street confirme sa réputation séculaire de formidable machine à enrichir les actionnaires. Couronnement suprême: au terme d'un marathon de 60 records depuis le début de l'année, l'indice Dow Jones a franchi, mardi 21 novembre, le cap des 5 000 points. Un sommet incroyable, si l'on sait qu'il lui a fallu onze ans pour dépasser le cap des 1 000 points, atteint une première fois en 1972, et qu'il a encore du attendre huit ans, jusqu'en avril 1991, pour enfin atteindre les 3 000 points, ratés en juillet 1990 pour cause de guerre du Golfe. Aujourd'hui Wall Street est à la fête et les sociétés aussi. Revue de détail.

Le miracle des valeurs technologiques
S'il fallait en sacrer un, ce serait celui-là. Le roi de l'informatique: Bill Gates et son entreprise Microsoft qui a enrichi ses actionnaires de plus de 200 milliards de franc en cinq ans, et s'est hissée au onzième rang des plus grosses valeurs américaines, avec une capitalisation boursière de 260 milliards de francs. Engouement éphémère? "Ces hausses spectaculaires ne sont pas une mode, explique Christian Hovine, directeur de la gestion privée chez Merrill Lynch à Paris. L'industrie high tech américaine est en train d'améliorer la productivité dans tous les secteurs, et sa propre croissance est impressionnante." Selon les prévisions financières compilées par le cabinet Ibes, les entreprises de technologie devraient enregistrer une croissance de 45,7% de leurs profits cette année et de 33% en 1996. Pourtant, si ces perspectives d'expansion demeurent enviables, les premiers signes de ralentissement n'ont pas tardé à faire réagir les investisseurs.

Le 13 septembre, IBM signalait aux analystes financiers de Wall Street que leurs prévisions étaient trop optimistes. Un avertissement qui a donné le signal de repli pour l'ensemble des valeurs de technologie. IBM a reperdu 16,2% par rapport à son plus haut de l'année et l'indice général du Nasdaq n'est pas parvenu à franchir de nouveaux records historiques depuis son sommet du 13 septembre. "Bien que les valeurs de technologie soient en forte croissance, la demande pour leurs produits est cyclique, elles vont connaître une concurrence acharnée et leurs produits deviennent très vite obsolètes", prévient Barton Biggs, chief strategist de Morgan Stanley à New York. Toute la question est de savoir si la demande sera assez forte pour maintenir les marges. "Les capacités de production vont augmenter de 70% l'an prochain, il faudrait que la demande augmente de 25% pour maintenir les marges actuelles", résume François Roudet, gestionnaire d'actions américaines à la BGP. Du coup, les producteurs de semi-conducteurs sont redescendus en flèche, comme Xilinx et Micron qui ont respectivement reperdu 43% et 52% depuis leur record du 8 septembre. Ce qui ne les empêche pas d'afficher encore un gain depuis le début de l'année de 48% pour Xilinx et 116% pour Micron.

La frénésie des fusions bancaires
Avec la fin du Glass Steagal act, le secteur bancaire connaît une vraie danse de Saint-Guy. Le 28 août, la Chemical bank se payait la Chase Manhattan pour 9,9 milliards de dollars, entraînant une hausse de 86% de son cours depuis le début de l'année. Les grandes banques régionales étaient encore plus pressées de franchir les frontières de leurs états: le 19 juin, First Union rachetait First Fidelity pour 5,1 milliards; le 12 juillet, NBD Bancorp lançait une OPA de 5,3 milliards de dollars sur First Chicago, et depuis octobre, la Wells Fargo et First Bank system, se battent le rachat de First Interstate à plus de 10 milliards de dollars. L'indice des grandes banques à guichet affiche ainsi la troisième meilleure performance depuis le début de l'année (+56%) et celui des grandes banques régionales est huitième (+49%).

Les valeurs de santé dopées par le Congrès
Le débat houleux entre le président Clinton et le Congrès sur les grandes réformes du système de santé a eu des conséquences inattendues, mais finalement favorables pour les valeurs de ce secteur. "Le plan Clinton prévoyait de mettre les laboratoires pharmaceutiques à contribution pour financer Medicaid, le système de sécurité sociale minimale, rappelle un gestionnaire d'actions américaines. L'échec de ce projet a redonné confiance aux investisseurs." Et les opérations financières ont aussi été nombreuses, comme le rachat de Marion Merrell Dow par l'allemand Hoechst pour 7,1 milliards de dollars et l'OPA de 6,2 milliards du suédois Pharmacia sur Upjohn. L'indice du secteur (+53%) se place au sixième rang des meilleures performances depuis le début de l'année. Quant aux HMO, health management organisations, sortes de sécurité sociale privée, elles ont commencé par plonger de 23% entre janvier et mai, en raison des craintes de coupes budgétaires sur le système de santé. Mais l'espoir d'un compromis des Républicains leur a permis d'afficher la plus forte hausse depuis trois mois (+32%).

Les Blue Chips du Dow Jones
Si elles sont peu concernées par le boom de la high-tech, les trente valeurs du célèbre indice Dow Jones restent très influentes. Les cinq plus grosses: General Electric, ATT, Exxon, Coca-Cola et Philip Morris réunissent, à elles seules, une capitalisation boursière de 2 400 milliards de francs, soit autant que toute la Bourse de Paris!

En 1995, les valeurs du Dow Jones ont profité de deux grandes tendances. D'abord, elles ont été au coeur de la vague de fusions-acquisitions: depuis le début de l'année, elles sont impliquées dans 23% des opérations américaines, soit trois fois plus que l'an dernier. Ensuite, elles ont profité d'un mouvement de repli sur les valeurs refuges, c'est à dire les blue chips. "Avec les craintes de ralentissement économique, les valeurs de consommation en croissance régulière ont connu un regain de faveur aux dépens des valeurs cycliques", confirme Dick McCabe, responsable de l'analyse financière chez Merrill Lynch à New York. Parmi les secteurs en plus fortes hausse depuis trois mois on trouve ainsi les valeurs de boissons (+19,7%) et de tabac (+18,6%), brillamment représentées dans l'indice Dow Jones par Coca-Cola et Philip Morris. La hausse de Wall Street ne durera peut être pas éternellement.

Mais la roue de la fortune tourne vite aux Etats-Unis. Parmi les 2 500 valeurs du New York stock exchange et les 5 000 entreprises du Nasdaq, la diversité boursière est telle qu'il y a toujours une foule d'opportunités.

Gilles Pouzin
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