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Rédigé le 5 juin 2000
Interview de Stanley Nabi
:
La correction des valeurs high-tech favorisera la vieille économie

Stanley Nabi
Vice-PDG de DLJ Asset Management et gérant du Callander Fund.
Il est aussi professeur de finance à la Fordham University de New York.
Pour ce gérant qui a été à l’école avec Warren Buffet, la correction des valeurs de technologie n’est pas terminées. L’indice du Nasdaq pourrait chuter en dessous de 3000 points. Mais ce rééquilibrage profitera aux valeurs de la vieille économie.

Vous avez toujours dénoncé la bulle des valeurs Internet. Pourquoi?
Il y a six mois, la capitalisation des sociétés Internet cotées en Bourse atteignait 700 milliards de dollars. En admettant que cette valorisation soit justifiée par des perspectives de profits à long terme, par exemple un rapport de dix fois leurs bénéfices en 2005, il aurait fallu que ces sociétés Internet affichent 70 milliards de dollars de résultats en 2005. Or cela représente l’ensemble des profits que réalisent actuellement les 500 plus grosses valeurs américaines. Cette valorisation était donc manifestement excessive.

Qu’est-ce qui a provoqué cette surévaluation?
Il y a eu un phénomène d’entraînement et de surenchère. D’abord, on constate que la hausse du Nasdaq suit de très près celle des achats d’actions à crédit. Ensuite, les fonds d’investissement les plus dynamiques, notamment ceux qui se spécialisent dans les valeurs technologiques, ont enregistré des souscriptions record au début de l’année, alors que les fonds indiciels enregistraient les premiers retraits depuis leurs création il y a plus de vingt ans. Cette escalade du risque ne peut continuer que si elle est constamment nourrie par des flux d’argent supplémentaires. Et le moindre retournement peut provoquer un repli important.

Pourtant, Internet n’est pas seulement une mode.
C’est vrai, l’Internet fait désormais partie du paysage économique. Mais comme avec des nouveautés similaires, il y aura des gagnants et des perdants. Il en va de même pour les télécommunications. Aujourd’hui, je paye 40 centimes la minute pour appeler ma fille en Australie, alors que je payais 80 centimes la minute il y a six mois et 1,50 francs il y a un an. Je vous garantis que d’ici cinq ans le prix des communications internationales sera tombé à 7 centimes la minute aux Etats-Unis. Les innovations technologiques stimulent la productivité, créent de nouvelles activités et incitent la plupart des sociétés à s’adapter à l’environnement économique en constante évolution. Mais elles sont aussi la première source de destruction créatrice, c’est à dire de sélection naturelle parmi les entreprises.

Malgré cette spéculation, l’économie vous semble-t-elle solide ?
En dépit du défi qu’il lance aux statistiques enregistrées dans le passé, le cycle de croissance que traversent les Etats-Unis n’a rien perdu de sa vigueur. L’activité des entreprises a même gagné un peu plus d’élan récemment, grâce à la reprise économique mondiale et à l’absence de contre-coup du passage à l’an 2000. La croissance est restée soutenue à un rythme près de deux fois supérieur à celui qualifié de " supportable " par la réserve fédérale sans entraîner de déséquilibres importants entre la production et la consommation. Et, ce qui me semble encore plus important, le seconde trimestre ne devrait pas montrer de signes de ralentissement significatifs. En résumé, nous pensons que la croissance américaine restera forte pour le restant de l’année. La croissance mondiale persistera et accélèrera peut-être. Et les profits des entreprises croîtront à un rythme supérieur à 10%.

Pensez-vous que Wall Street garde un potentiel de hausse?
Dans le contexte favorable que connaissent les principales puissances économiques mondiales, nous ne prévoyons pas de baisse importante et durable de la Bourse. En revanche, ce qui est susceptible de se produire dans les prochains mois est une prise de conscience progressive que beaucoup de nouvelles sociétés de technologie ont été trop optimistes dans leurs promesses et pas assez convaincantes dans leur développement. Beaucoup de ces sociétés qui avaient bénéficié de l’engouement des investisseurs en capital risque doivent maintenant faire face à la concurrence pour attirer des fonds sur un marché de plus en plus sélectif. De plus, un nombre important de sociétés introduites en Bourse depuis un an est sur le point de sortir de la période de blocage durant laquelle les salariés et les investisseurs d’origine n’ont pas le droit de vendre leurs actions, ce qui va libérer une offre de titres importante. Je pense que ces éléments pourraient faire baisser l’indice du Nasdaq en dessous des 3 000 points.

Pourquoi les valeurs plus traditionnelles vous semblent-elles moins risquées ?
Des secteurs économiques importants, représentant près de 60% de l’indice S&P des 500 plus grandes valeurs américaines, ont connu un marché baissier depuis deux ans. Cette longue liste comprend la pharmacie, les services financiers, l’industrie alimentaire, l’énergie, la distribution, l’aéronautique et un large éventail de sociétés industrielles. Les segments de marché représentatifs de la vieille économie ont continué à souffrir du désintérêt des investisseurs en dépit du fait que leurs perspectives s’amélioraient fortement grâce au climat économique porteur et à la plus grande discipline de leurs dirigeants. Quand et comment cette disparité peut se résorber est l’une des questions les plus frustrantes pour les investisseurs. Mais je pense qu’un équilibre plus raisonnable est en train de se mettre en place dans lequel les valeurs de technologie deviendront moins favorisées tandis que les sociétés à faible valorisation deviendront moins délaissées.

Gilles Pouzin
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