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Rédigé le 30 décembre 1996 |
Plus Wall Street monte plus elle donne le vertige et plus les hypocondriaques se réfugient dans des prévisions apocalyptiques. Si l'indice Dow Jones perdait 25% cette année, il redescendrait pourtant seulement au niveau de novembre 1995 (5 000 points) que les pessimistes considéraient déjà comme une bulle spéculative promise à la pire explosion. Une telle baisse serait un moindre mal pour ceux qui ont cru au marché américain depuis le redémarrage économique de 1991, lorsque l'indice Dow Jones venait de franchir le seuil "exubérant" des 3 000 points. Un "dégonflement" potentiel de Wall Street soulève néanmoins deux questions essentielles : quelle serait son ampleur et quelles seraient ses conséquences pour l'économie?
Tous
les records sont battus
Une visite chez les experts de Wall Street nous a permit d'évaluer
ses excès : tous les records sont battus. Wall Street a enregistré
la plus longue période de hausse de son histoire, sans connaître
de correction de plus de 10% depuis octobre 1990. La capitalisation boursière
américaine dépasse 100% du PIB, plus que les 81% de 1929. Le rendement
des dividendes est tombé à 1,9%, bien en dessous de sa moyenne
de 4%. Mais cette valorisation est justifiée par les performances de
l'économie : l'inflation est au plus bas depuis 31 ans, le chômage
au plus bas depuis 23 ans et le déficit budgétaire au plus bas
depuis 22 ans. En résumé, la récession n'est pas en vue.
A défaut de vraies mauvaises nouvelles, des déceptions suffiraient pourtant à faire trébucher Wall Street. La hausse des taux d'intérêt est la menace la plus inquiétante. "La baisse des taux des banques centrales européennes et japonaise a généré une énorme spéculation sur les marchés obligataires, explique Michael Metz, responsable des investissements chez Oppenheimer. Il suffirait que les taux montent ou que le dollar baisse pour entraîner une liquidation de ces positions." Ce repli se propagerait inévitablement à Wall Street.
Le désenchantement pourrait aussi venir du ralentissement économique. "Valeur par valeur, les prévisions des analystes financiers anticipent encore une hausse moyenne des bénéfices de 14,9% en 1997, alors que le chiffre global donné par les économistes n'est que de 5% en moyenne, explique Eugene Bolton, responsable des actions américaines pour le fonds de pension General Electric Investment. Entre les deux il y a un potentiel, pour des déceptions qui pourraient faire baisser la Bourse d'environ 12%."
Attente
d'un repli ordonné au lieu d'un krach
Même dans l'hypothèse ou aucune calamité ne ferait trébucher
Wall Street, une correction serait toujours possible. "Depuis le début
du Siècle, il n'y a eu que six périodes où Wall Steet a
gagné plus de 20% par an deux années de suite, explique Richard
McCabe chef des analyses de marché à la banque Merrill Lynch.
La troisième année a toujours alors été neutre (+2%
au maximum), ou en baisse (jusqu'à -37% en 1937). Ce qui me fait craindre
une correction de 20 à 25% entre le sommet et le plus bas de 1997."(lire
également l'avis de Denis Laplaige, président de
MacKay Shields)
Malgré ces prévisions moroses, les expert s'attendent davantage à un repli ordonné qu'à un véritable krach. "En général les investisseurs ignorent les mauvaises nouvelles qui surgissent sur le front économique bien avant qu'un krach se produise, explique Christine Callies, responsable du département actions au Credit Suisse First Boston. Ce n'est pas le cas aujourd'hui." Certains experts s'inquiètent néanmoins de l'endettement des particuliers. "Il est vrai que les ménages se sont endettés de 600 milliards de dollars entre fin 1994 et mi-1996, explique Edward McKelvey, économiste chez Goldman Sachs, mais sur la même période leurs actifs ont progressé de 4 000 milliards de dollars, ce qui fait un enrichissement net de 3 400 milliards." Et comme la consommation n'a pas augmenté proportionnellement à cet enrichissement, il y a peu de risques qu'elle soit affectée par une baisse de la Bourse.
En fait, les experts de Wall Street ne craignent pas qu'une baisse des actions ait un impact sur l'économie, mais plutôt l'inverse. "Dans un environnement sans inflation le crédit est peu intéressant et les gens réduisent régulièrement leur consommation pour rembourser leurs emprunts, cela devrait être le cas en 1997 comme cela l'a été en 1990, explique Maureen Allyn, économiste de la société de mutual funds Scudder. Les profits des entreprises devraient en souffrir, ce qui présente un risque sérieux pour la Bourse." En résumé, Wall Street a toutes les chances de baisser en 1997, mais ce ne sera ni la fin du monde ni la cause de nos problèmes.
Denis
Laplaige, président de MacKay Shields
MacKay Shields est une société de gestion américaine
qui gère 24 milliards de dollars (125 milliards de francs) sur les marchés
financiers. "Je pense que Wall Street devrait baisser en 1997 pour trois
raisons :
1 : les années post-électorales n'ont jamais été
bonnes pour la Bourse.
2 : tous les records de valorisation sont battus.
3 : les marges des entreprises risquent de rebaisser. Mais beaucoup de sociétés
américaines continueront de s'enrichir en générant des
excédents de trésorerie. Cela devrait entraîner une rotation
des valeurs vedettes qui atténuera la baisse du marché."