Wall Street > Rédigé le 6 Janvier 1999
Pourquoi Wall Street tiendra :
La Bourse américaine est plus solide qu'on le craint.

Chiffres
Une baisse de Wall Street risque-t-elle de casser le moral des consommateurs américains et de plonger le monde en récession? Cette crainte est à peine exagérée quand on sait que leur optimisme vient en grande partie de leurs gains boursiers. A l'inverse, si la Bourse chute et que ces gains s'évanouissent, les ménages se serreront la ceinture. Une menace sérieuse quand on sait que l'appétit du consommateur américain est l'un des derniers moteurs de la croissance mondiale. Frappés de plein fouet par la crise asiatique les Etats-Unis ont vu leurs exportations chuter et n'ont échappé à la récession que grâce aux dépenses de leurs concitoyens.

La nouvelle envolée de 27% de Wall Street l'an dernier a largement alimenté cette euphorie. Mais la hausse est peut-être excessive alors que les inquiétudes ne manquent pas. Les profits des entreprises risquent, notamment, de décevoir les investisseurs. Par ailleurs, cet optimisme obstiné génère des déséquilibres inquiétants. Depuis quatre ans, les dépenses progressent plus vite que les revenus et, aujourd'hui, les Américains dépensent plus qu'ils ne gagnent. Cette déconnexion qui ne tient qu'à la bonne humeur de Wall Street paraît extrêmement vulnérable. Pourtant, la catastrophe n'est probablement pas pour cette année.

1) Quelles inquiétudes sur Wall Street?
Premier indicateur d'alerte pour la Bourse américaine: les entreprises vont moins bien et les milieux d'affaire sont inquiets. Dans l'industrie, l'indice de confiance des directeurs d'achat a chuté à un niveau qui n'est habituellement observé qu'à la veille d'une récession. Ces derniers sont particulièrement préoccupés par l'effondrement de leurs commandes venant de l'étranger. En plus, avec la concurrence des pays asiatiques, les entreprises doivent baisse leurs prix et rogner sur leurs marges.

Résultat, selon les prévisions recueillies auprès des analystes financiers par le bureau d'étude IBES, les profits des 500 premières entreprises américaines auraient déjà enregistré en recul de 0,5% en 1998. La première année de baisse des profits depuis la récession du début de la décennie. Et les analystes sont probablement trop optimistes sur le rebond de 1999. "Nous nous attendons à ce que la croissance des profits s'établisse entre 5% et 7%, confie Joseph Abbott, directeur des études chez IBES, bien en dessous des 17% de croissance attendus par les analystes."

Pour l'instant, le redressement spectaculaire de Wall Street au dernier trimestre 1998 montre que les investisseurs ignorent cette menace. Et le cours élevé des actions paraît injustifié. En fait, il faut préciser que la Bourse a profité de la baisse des taux d'intérêt. Plus ces derniers baissent, plus la comparaison des différents placements est favorable aux actions.

Pour savoir si les actions sont surévaluées ou non, la compare ainsi leurs cours avec d'une part, les prévisions de bénéfices attendues par les analystes financiers et, d'autre part, le taux d'intérêt des obligations à long terme. Selon ce modèle, Wall Street était surévaluée de 34% à la veille du krach de 1987 et de 25% avant le plongeon de l'été 1998. Après avoir été sous-évaluée de plus de 10% au début de l'automne, les actions américaines ont terminé l'année 1998 sur une surévaluation proche de 10%.

Le problème est que les investisseurs voient l'avenir en rose alors que la crise financière internationale est loin d'être terminée. Parmi les risques les plus redoutés figurent une rechute du Brésil, une dévaluation chinoise, le marasme japonais ou l'écroulement d'une grande banque occidentale.

2) Une baisse prolongée de la Bourse entamerait la confiance des consommateurs
Pour les experts, la fièvre dépensière des Américains dépend beaucoup de la solidité de Wall Street. Grâce à l'envolée de la Bourse, le patrimoine total des ménages américains atteint aujourd'hui 32 000 milliards de dollars. "Cette récente accumulation de richesse a entraîné une augmentation de la consommation de 182 milliards de dollars, ce qui équivaut au tiers de l'augmentation des dépenses de consommation des deux dernières années", explique Gary Schlossberg, économiste à la banque Wells Fargo à San Francisco.

A l'inverse, si la Bourse chute, les ménages risquent de restreindre leur train de vie. La longue baisse de Wall Street entre 1973 et 1974 avait ainsi fait redescendre la consommation de 2,5% pendant deux ans. "Mais le lien entre la Bourse et la consommation est décalé d'un an, si bien que les krachs boursiers de courte durée affectent peu le comportement des consommateurs", explique Alex Patelis, économiste à la banque américaine Goldman Sachs. En 1987, par exemple, la chute de 22% de l'indice Dow Jones en une journée avait fait reculer la consommation de 0,5%. Mais, six mois plus tard, le krach n'était plus qu'un mauvais souvenir et la consommation repartait de plus belle. Pour que la consommation soit vraiment affectée par la Bourse, la banque américaine estime qu'il faudrait que Wall Street perde plus de 20% en 1999.

3) Et les inciterait à épargner davantage
L'impact d'une tempête boursière sur la consommation serait d'autant plus fort que les Américains n'épargnent plus. Pour la première fois depuis deux générations, le taux d'épargne est devenu négatif aux Etats-Unis. "L'endettement extravagant des ménages était jusqu'ici tolérable car il était compensé par la hausse des actions, explique Patrick Artus, directeur des études de la Caisse des Dépôts. Mais si les cours plongent, les particuliers risquent de se retrouver surendettés comme au Japon lors de l'éclatement de la bulle financière." Du coup, ils seraient contraints de réduire encore plus leurs train de vie, pour se désendetter et reconstituer leur épargne.

Tous les experts ne partagent pas ce pessimisme. "Le taux d'épargne privé est bas par rapport au revenu disponible, admet Nilly Sikorsky, directrice générale de la société de gestion Capital Group en Europe. Mais il ne tient pas compte des cotisations que les employeurs versent dans les fonds de pension pour la retraite de leurs salariés. Si l'on compte l'ensemble de l'épargne privée et des contributions aux fonds de pension, le taux d'épargne ne diminue pas." Il faudrait que la baisse soit vraiment prolongée pour que les particuliers soient réellement pris à la gorge.

4) Les épargnants soutiennent Wall Street
Une baisse durable semble pour l'instant peu probable tant que les épargnants continuent d'alimenter la hausse en achetant des milliards d'actions. Aujourd'hui plus de 60 millions d'Américains possèdent des actions ou des mutual funds, l'équivalent de nos sicav et leur engouement ne faiblit pas. Les mutual funds investis en actions ont collecté plus de 150 milliards de dollars d'épargne nouvelle en 1998, après le record de 193 milliards de dollars de 1997. En dépit de la crise finassière, les souscriptions de mutual funds ont toujours dépassé les demandes de remboursement, sauf au mois d'août. "Quand les épargnants voient que la Bourse a rapporté près de 20% malgré la chute du dollar, la faillite des hedge funds et le moratoire de la dette russe, ils se disent que les actions restent un bon placement", explique Jean Malo, gestionnaire chez Vaughan Nelson à Houston. Il faut dire que la baisse des taux d'intérêt rend aussi les autres placements moins attrayants, les obligations ne rapportant plus que 5%. Tant que les épargnants auront de l'argent et que les taux d'intérêt resteront bas, ils continueront d'investir en action et de soutenir la Bourse. La première condition pour que Wall Street ne plonge pas, est donc que le chômage reste bas. Le second parachute est que le grand sorcier de la finance mondiale, Alan Greenspan, possède encore suffisament de marge de manoeuvre pour baisser les taux d'intérêt de la banque centrale américaine.

Quatre indicateurs à surveiller en 1999
L'indice de confiance des directeurs d'achat: 45,1 en Décembre 1998.
Quand l'indice NAPM (National Association of Purchasing Managers) descend en dessous de 50, la production industrielle diminue. En dessous de 43,6, l'économie entre en récession. L'indice NAPM qui approchait 58 en 1997, se rapproche d'une zone dangereuse.

Les dépenses de construction: +0,9% en novembre 1998.
La confiance des consommateurs ne se dément pas. Au total, sur les onze premiers mois de 1998, les dépenses de constructions de logement ont augmenté de 12%. Les ventes de logements existants étaient par ailleurs en hausse de 2,7% en novembre et de 11,6% par rapport à l'année précédente.

La surévaluation de la Bourse: 14,6% le 5 janvier 1999.
Pour savoir si la Bourse est surévaluée, la Fed compare le cours des actions avec les prévisions de bénéfices des analystes financiers et le taux d'intérêt des obligations. La hausse de la Bourse conjuguée à la récente remontée des taux d'intérêt obligataires a accru sa surévaluation.

Souscriptions de fonds en actions: 160 milliards de dollars en 1998.
La confiance des épargnants dans la Bourse américaine est nécessaire pour maintenir son niveau élevé. Malgré la crise financière, les Américains ont acheté plus de 160 milliards de dollars de fonds de fonds d'investissements à Wall Street en 1998.

Gilles Pouzin
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