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Rédigé le 11 septembre 1998
Assurance-vie, coup de bluff ou coup de massue ?
Dernier assault contre l'attrait fiscal de ce placement.

Dans assurance-vie il y a le mot vie. Oubliez le mot assurance. Après le coup de massue du projet de loi de finance, les français auront perdu toute assurance vis-à-vis de leur placement préféré. Son dernier rempart fiscal vient de céder (lire en bas de page La mesure du projet de loi de finance). L'assurance-vie n'est plus exonérée de droits de succession. Ce n'est pas le premier coup de semonce. Après avoir échappé à tous les krachs et accumulé plus de 3 000 milliards de francs d'épargne, l'assurance-vie est devenue depuis longtemps un magot tentant pour les gouvernements. Ses protections anti-taxes sont déjà tombées une par une. La réduction d'impôt sur les souscriptions a disparu en 1995 tandis que l'exonération des revenus et des plus-values n'a pas résisté à l'explosion des prélèvements sociaux décidée l'an dernier.

Attaque frontale contre l'épargne
Les attaques contre l'assurance-vie ne sont pas nouvelles et il est normal qu'elles soient toujours mal vues par les épargnants. Mais, cette fois-ci, la tension est montée d'un cran car un adulte sur trois possède aujourd'hui ce type de placement. "Cette réforme signifie qu'il n'y a plus d'avantages fiscaux en France, s'exclame Gérard Athias, le président de l'Association française pour l'épargne et la retraite, l'Afer. C'est un leurre qui peut à tout moment être remis en cause." Même des personnalités politiques partagent cette opinion. Pour François d'Aubert, député Démocratie Libérale, il s'agit d'une "attaque frontale contre l'épargne et le patrimoine", tandis que Lucien Rebuffel, le président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, appelle "toutes les classes moyennes à s'unir pour empêcher un projet gouvernemental carrément scandaleux."

Une telle levée de boucliers contre une mesure présentée par le gouvernement comme une simple moralisation semble surprenante. Mais il n'y a pas de fumée sans feu. Derrière son apparente motivation de justice fiscale, le durcissement annoncé remet vraiment en cause les avantages de l'assurance-vie pour tout le monde.

1 - Une mesure qui ne vise pas que les riches
Selon les termes employés par le gouvernement, la suppression de l'exonération de droits de succession vise à "éviter que cette exonération ne soit détournée de son objet par les détenteurs de gros patrimoines". Il est vrai que le texte proposé ne s'appliquerait théoriquement qu'aux contrats dont la valeur dépasse un million de francs ou 30% du patrimoine de l'assuré au moment de sa succession. Un million de francs n'est pourtant plus un seuil aussi élitiste qu'on le pense. "On parle d'un million comme d'une somme colossale, s'insurge Gérard Athias, mais ce n'est pas le cas! Beaucoup d'appartements parisiens valent plus que cela sans que leurs propriétaires roulent sur l'or."

Avec l'effet de la capitalisation, les épargnants les plus fidèles ont surtout vite fait de crever ce nouveau plafond. "Nos plus anciens adhérents ont multiplié leur mise par dix depuis 1978", précise Gérard Athias. Ceux qui ont investi 100 000 francs en assurance-vie il y a vingt ans se retrouvent donc aujourd'hui avec un contrat d'une valeur d'un million et risquent d'entrer dans le collimateur du fisc.

Le million rapidement atteint
Le problème risque même de se poser pour la majorité des épargnants si le seuil n'est pas réévalué dans les années qui viennent. Les deux tiers des détenteurs d'assurance-vie versent plus de 20 000 francs par an sur leur contrat et 47% versent plus de 50 000 francs. A ce rythme, le cap du million de francs sera franchi par plus de gens qu'on ne le croit. Il suffit par exemple de verser 42 000 francs par an, soit 3 500 francs par mois, sur un contrat qui rapporte 7% par an, pour se retrouver au bout de quatorze ans avec un million de francs.

2 - Un seuil d'exonération à géométrie variable
Le seuil d'exonération des droits de succession pose d'ores et déjà deux questions d'interprétation aux professionnels de l'assurance-vie. La première porte sur la mesure attendue pour cette année. La seconde porte sur son évolution. Le texte actuel prévoit que seuls les contrats de plus d'un million de francs seront soumis aux droits de succession dans la mesure où ils représenteraient plus de 30% du patrimoine de leurs détenteurs. "Cette version est la plus favorable, précise Yves Brutin, directeur général de Théma Vie, car elle permettrait aux détenteurs de gros patrimoines de transmettre plus d'un million de francs en assurance-vie exonérée de droits de succession." Mais il admet que tous ses confrères ne partagent pas cet optimisme. "Beaucoup de gens craignent que le texte définitif choisisse la version la moins favorable", précise-t-il. Dans ce cas, le seuil de 30% du patrimoine pourrait s'appliquer à des contrats de moins d'un million de francs.

Incertitude sur la taxation
Seconde incertitude: comment évoluera le seuil d'exonération? L'évolution du seuil de cessions des valeurs mobilières exonéré d'impôt sur les plus-values est un bon exemple de ce qui peut se passer. Jusqu'en 1991, ce seuil était relevé chaque année pour tenir compte de l'inflation. Mais il a commencé à être rabaissé à partir de 1992 pour les sicav monétaires et à partir de 1996 pour tous les autres titres. Rien ne dit que le seuil d'exonération de l'assurance-vie ne subira pas le même sort. "Les 30% ou le million de francs peuvent descendre à zéro et toucher tout le monde, s'inquiète Ghislaine Royer, directrice générale de Guardian Vie en France. Le principe qu'il faut retenir est que chaque loi de finance fixera désormais la taxation de l'assurance-vie pour l'année suivante." Une menace qui risque selon elle de dissuader les épargnants de placer ne serait-ce que 50 000 francs en assurance-vie.

Sur le fond, la fixation d'un seuil absolu et d'un pourcentage du patrimoine a de toute façon un effet pervers inattendu : plus le détenteur d'assurance-vie sera riche au moment de son décès moins ses héritiers seront taxés sur l'assurance-vie qui leur sera transmise. Pourquoi? Tout simplement parce qu'un contrat d'un million de francs et dix centimes transmis par quelq'un dont le patrimoine dépasserait 3 330 000 francs serait exonéré de droits de succession alors qu'il serait imposable si le patrimoine du défunt était inférieur à ce montant. "C'est ubuesque, observe Gérard Athias, plus vos aïeux seront riches moins vous paierez d'impôt."

3 - La menace de la rétroactivité
La suppression de l'exonération des droits de succession est une mauvaise nouvelle, même si elle ne concerne pas encore tous les souscripteurs d'assurance-vie. Mais son application à tous les contrats existants est quant à elle considérée unanimement comme une catastrophe. Le communiqué du gouvernement précise en effet que l'impôt sur les successions "s'appliquerait aux contrats en cours lorsqu'ils ne respectent pas les seuils fixés." En un mot, la nouvelle taxe serait rétroactive. "Cela signifie que des gens qui avaient souscrit à un statut légal d'exonération des droits de succession sans restriction se retrouvent du jour au lendemain traités comme des fraudeurs", estime Gérard Athias.

Un compromis toujours possible
Même si de nombreux gestionnaires conseillaient de ne pas mettre plus d'un tiers de son patrimoine en assurance-vie, rien n'interdisait vraiment d'y investir davantage. "Il n'y a jamais eu de requalification sur la proportion de patrimoine que l'on pouvait placer en assurance-vie", explique Philippe Bruneau, responsable de l'ingénierie patrimoniale pour la BGP et le Crédit agricole. Si elle était adoptée sans modification, cette mesure frapperait de plein fouet tous les chefs d'entreprise et commerçants qui ont mis une grande partie de leur patrimoine en assurance-vie après avoir cédé leur outil de travail.

Heureusement, il reste encore de bonnes chances pour que le projet du gouvernement soit adouci avant son adoption définitive. "Ceux qui ont eu Dominique Strauss Kahn comme professeur à Nanterre savent bien qu'il est partisan d'annoncer de très mauvaises nouvelles pour en faire accepter de moins mauvaises, ironise Philippe Bruneau. Je pense qu'il n'y aura pas de rétroactivité et que la seule imposition des souscriptions futures sera acceptée avec soulagement." D'autres assureurs pensent comme lui qu'un compromis sera trouvé avant la fin de l'année.

4 - Que reste-t-il à l'assurance-vie?
Avec ou sans rétroactivité, la suppression de l'exonération de droits de succession bouleversera de toute façon le dernier avantage fiscal de l'assurance-vie. Que restera-t-il de ce placement miracle de la dernière décennie? Les experts ont du mal à se prononcer tant que les mesures définitives ne sont pas votées. Ils consentent néanmoins à explorer quelques pistes de réflexion.

La première préoccupation que la réforme de l'assurance-vie causera aux épargnants concerne évidemment leurs droits de succession. De ce point de vue, l'assurance-vie n'offrira malheureusement plus beaucoup de solutions et les gestionnaires de patrimoine commencent à étudier d'autres alternatives (lire l'interview de Philippe Bruneau Quelle alternative à l'assurance-vie ?).

Un placement comme les autres
Une fois écarté son aspect transmission de patrimoine, l'assurance-vie ne méritera sans doute plus d'être traitée comme un placement à part. "La politique des assureurs va être de dire que l'assurance-vie reste un bon placement, prédit Gérard Athias. Je vais me faire mal voir mais je pense qu'on ne peut plus parler d'avantages fiscaux dans le climat actuel. Il faut prendre les performances des placements à l'état pur et les comparer." Il faudra se demander si les maigres avantages de l'assurance-vie compensent encore ses contraintes et ses frais élevés. La réponse est délicate car elle repose sur des hypothèses de rentabilité et de fiscalité future qui semblent aussi fragiles l'une que l'autre. Cette comparaison dépend aussi en partie du type de contrat auquel on souscrit et de la situation patrimoniale dans laquelle on se trouve.

La nouvelle donne fiscale et la diversité de produits disponibles aujourd'hui peuvent néanmoins être l'occasion pour les épargnants de revoir l'utilisation qu'ils font de l'assurance-vie. En effet, la plupart des contrats signés il y a huit ans étaient des placements d'une ancienne génération, souvent très chargés en frais et parfois opaques ou mal gérés. Il est temps d'en sortir pour repartir sur des bases plus intéressantes. Selon ses besoins et sa stratégie financière il vaut mieux privilégier des contrats multi-supports et multi-gestion qui offrent plus de souplesse pour gérer son patrimoine et dont les nouvelles options permettent plus facilement de s'adapter aux réformes successives. Un impératif puisque l'assurance-vie est désormais gouvernée par les aléas fiscaux.

Gilles Pouzin

La mesure du projet de loi de finance du gouvernement
- L'exonération de droits de succession de l'assurance-vie serait limitée à 30% du patrimoine de l'assuré.
- Cette mesure ne s'appliquerait qu'aux contrats dont la valeur est supérieure à 1 million de francs.
- La mesure s'appliquerait aux contrats en cours lorsqu'ils dépassent les seuils fixés.


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