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Rédigé le 08 juillet 1995
Trois itinéraires de golden boys :
Paris, Londres, L.A., leur vie, leur carrière.

Paris: André Bénatan, 36 ans, négociateur individuel de parquet (NIP) à Paris.
Londres: Philip Mizon, 40 ans, directeur de desk chez le broker Prebon Yamane.
Los Angeles: Mark Strome, 38 ans, gestionnaire de hedge fund.

Lire également l'article principal: Profession Golden Boy.

André Bénatan, 36 ans, négociateur individuel de parquet (NIP) à Paris.
Il travaille en soliste et a acheté et vendu pour son compte 2 millions de contrats Matif en 1994, soit 1000 milliards de francs.

A trente-six ans, André Bénatan est l'un des indépendants les plus respectés de la Bourse de Paris, ou plus exactement du Marché à terme international de France, le fameux Matif. Il n'est pourtant pas né dans le cocon doré de la haute finance parisienne. Fils d'un prof de math et d'une prof de français, il a grandi à Rouen avant d'intégrer l'école supérieure de commerce. «On peut gagner ou perdre 100 000 francs en une journée, reconnaît André Bénatan. Mais il faut garder le sens des réalités, car si l'on banalise les sommes en jeu on peut se ruiner rapidement.» L'essentiel de ses opérations, dites de "scalping", consistent à faire des allers-retours de quelques minutes ou quelques secondes pour profiter des écarts de cours entre les autres ordres.

André Bénatan aime le côté "jeu" de son métier: «Comme au poker, il faut deviner ce que vont faire les autres, en fonction de l'intonation de leur voix ou de l'expression de leur visage, tout en sachant qu'ils peuvent bluffer.» Il se méfie de l'insouciance des jours de chance comme de la peste. «Le plus dur n'est pas de gagner, mais de durer», avoue-t-il. Chaque après-midi, il raccroche sa veste rouge au vestiaire des NIP vers 16 heures 45 et prend le RER pour regagner son pavillon au Vésinet où il retrouve Lorenne, son épouse américaine, et ses deux jumeaux de quatre ans et demi, Timothy et Alexandre. Une règle d'or, ne jamais ramener son stress à la maison. «Ce serait invivable d'être irascible quand on perd et euphorique quand on gagne.» Pour garder la forme, André Bénatan s'entraîne jusqu'à 12 ou 15 heures par semaine au triathlon et s'accorde trois ou quatre semaines de vacances tous les deux mois.

Philip Mizon, 40 ans, directeur du desk euro dollar chez le broker britannique Prebon Yamane.
Il dirige une équipe de douze brokers qui exécutent 5 milliards de dollars de transactions par jour sur le marché interbancaire. Prof d'anglais en Belgique dans les années 70, Phil Mizon est devenu un baroudeur des salles de marché.

Son métier de broker consiste à faire l'intermédiaire pour des opérations entre banques en apparence sans risques. Phil met pourtant en garde les débutants contre toute impression de facilité. «Quand on fait des deals de dizaines de millions de dollars en quelques minutes il faut être efficace et fiable à 100% en permanence, même si le marché a l'air calme ou qu'on est fatigué», prévient-il. La vie de cambiste n'est d'ailleurs pas de tout repos. «J'habite loin de Londres et je me lève tous les matins à cinq heures pour arriver vers six heures trente au bureau, si British Rail est ponctuel... Parfois, quand je dis au revoir aux enfants le lundi matin, je ne les revois pas avant le week end.» Les candidats brokers doivent être motivés, sans compter l'apprentissage du jargon professionnel, qui est une langue étrangère à lui tout seul!

Mark Strome, 38 ans, gestionnaire de hedge fund à Los Angeles.
Il emploie 40 personnes et a réalisé un gain personnel d'au moins 90 millions de dollars (450 millions de francs) en 1993, qui le classe au 8ème rang des cent premiers revenus de Wall Street.

Mark Strome reste discret, quand on lui demande de confirmer les informations parues sur ses performances (129% en 1993) dans le classement du magazine Fortune World: «Ces chiffres sont en dessous de la réalité», commente-t-il sobrement. Les lois boursières américaines lui interdisent en effet d'en dire plus sur le fonds spéculatif qu'il gère exclusivement pour des gros investisseurs. En tous cas, son talent de gestionnaire lui a permis, cette année là, d'être le plus jeune parmi les dix plus gros revenus de Wall Street. Stephen Friedman, le président de la célèbre banque d'affaires Goldman Sachs, n'était que vingt-huitième. Mark Strome ne se bat pourtant plus pour une poignée de dollars. «Quand on commence, l'argent est sûrement la première motivation, avoue-t-il. Mais quand on en a suffisamment, on fait surtout ce métier pour le défi intellectuel.» Un défi permanent qui demande un travail acharné.

«Vivant sur la côte ouest, je me lève à 4h45 pour arriver au bureau à 5h30. Avec le décalage horaire, Wall Street ouvre une heure plus tard. A midi, pas question de sortir déjeuner, notre cuisinière brésilienne nous sert de bons petits plats devant nos écrans. Je rentre vers 17 heures à ma résidence de Pacific Palissade, d'où je surveille parfois les marchés asiatiques jusqu'à 22 heures.» Mark Strome aime se préserver quelques loisirs pour jouer avec ses trois enfants ou passer une semaine de ski avec son épouse, productrice de cinéma, dans son chalet du Colorado. Mais son vrai hobby, c'est la Bourse. «J'ai commencé à boursicoter à dix-sept ans», se souvient-il. Ni son père, éleveur laitier, ni son diplôme d'ingénieur en travaux publics, ne l'ont préparé à ce métier. «La Bourse est plus intangible. Je regarde les choses avec une rigueur clinique, sans aucune émotion, pour chercher des situations extrêmes qui vont précipiter la réaction des gouvernements. En France, par exemple, le traumatisme du chômage finira par entraîner une baisse des taux d'intérêt et une envolée des actions françaises vers de nouveaux records.» Souhaitons que ce pari lui porte chance, il ne serait pas le seul à y gagner!

Gilles Pouzin

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