Banque-Finance UK > Rédigé le 04 juillet 1996
Reuters, la révolution des agences de presse :
Comment la technologie a rendu l'information financière ultra-rentable.

Les journalistes des agences de presse sont des travailleurs de l'ombre. Le grand public ignore totalement l'étendue de leur travail. Ce sont pourtant eux qui font les gros titres. Ils fournissent même l'essentiel des informations qui sont retransmises au journal télévisé. Nées au début du XIXème siècle, les agences de presse ont en effet pour vocation de collecter un maximum d'informations brutes et de les redistribuer, le plus rapidement possible, aux média grand public.

Elles ont pourtant perdu leurs lettres de noblesse d'antan. «Les revenus provenant des média couvrent difficilement les coûts d'un réseau de journalistes de qualité implanté partout dans le monde», résume Peter Job, patron de Reuters, la première agence de presse mondiale, avec 2,7 milliards de livres de chiffre d'affaires (lire l'article Peter Job, un patron-journaliste). «Face à cette situation nous avions quatre possibilités, explique Peter Job: faire faillite, comme l'agence américaine UPI; vivre du soutien financier de nos actionnaires, comme Associated Press, qui est une coopérative; vivre de subventions gouvernementales, comme l'Agence France Presse; ou développer une activité lucrative sur un autre marché.» C'est ce qu'a fait Reuters avec succès.

Les cours en temps réel
La vente d'information aux média ne représentait plus que 5,5% de son chiffre d'affaires en 1995, soit 153 millions de livres (1,22 milliard de francs), ce qui reste tout de même supérieur au chiffre d'affaires total de l'AFP (1,18 milliard de francs en 1995). L'essentiel de son activité provient aujourd'hui de la transmission d'information (69,5% des ventes) et des services de transactions financières (25% des ventes). Reuters a en effet été la pionnière de ce que les Anglais appellent «l'information technology», c'est à dire la technologie de l'information intelligente. A travers un réseau de télécommunication spécifique, Reuters abreuve ses abonnés par l'intermédiaire de 600 000 écrans d'ordinateurs dédiés à son service. Sur ces écrans, on peut consulter toute sorte de nouvelles économiques, interroger des banques de données et afficher le cours de n'importe quel titre en temps réel. Les opérateurs des marchés financiers, pour qui il est vital d'avoir une information fiable et immédiate, sont prêts à payer un prix confortable pour ce service.

En 1995, on estimait le marché de l'information financière mondiale à 5,3 milliards de dollars (27 milliards de francs). Du coup, de nouvelles agences spécialisées se sont engouffrées dans la brèche. C'est le cas de Bloomberg, une agence créée en 1984 par Michael Bloomberg, un ancien trader de la banque Salomon Brothers. En une dizaine d'années, Bloomberg a implanté 60 000 écrans dans les salles de marché du monde entier et s'est hissé au troisième rang du secteur, juste derrière le service Dow Jones Telerate.

Les tentations de la télévision
Fortes de leurs succès financiers, ces agences de presse de la dernière génération affichent aujourd'hui des ambitions tous azimuts. La télévision suscite évidement une fascination sans borne. Le réseau câblé américain NBC a été le première à lancer une chaîne d'information économique et financière, CNBC. Cette dernière a aujourd'hui de grands projets d'expansion en Europe, notamment en partenariat avec la société de production télévisuelle du quotidien Financial Times. Le groupe Dow Jones, qui édite le Wall Street journal et possède l'agence d'information financière AP-Dow Jones, a investi pour sa part dans un projet de télévision ambitieux, European Business News (EBN). Et Bloomberg s'est aussi lancé dans la course avec Bloomberg Television.

Après avoir pris une participation de 18% dans la chaîne ITN, il y a cinq ans, l'agence Reuters est plus hésitante. «C'est un bon investissement, explique Peter Job, mais je ne suis pas convaincu que les consommateurs veuillent absolument une chaîne grand public consacrée au business. Le service Reuters Television, que nous diffusons à nos abonnés professionnels, répond davantage à un vrai besoin de voir les décideurs économiques en direct au moment même où ils font une déclaration importante.»

Les agences de presse auraient-elles un avenir en dehors de la Télé? Difficile à croire, alors que la suprématie de l'image est à son paroxysme et que les accords pour contrôler le petit écran se jouent à coups de milliards de dollars. Pourtant Peter Job voit un avenir radieux pour l'information intelligente. «L'information a été la première source de revenus de Reuters pendant la moitié de ses 150 ans d'histoire, explique-t-il. Il est possible que ce métier entre dans une nouvelle ère et revienne en force sur l'Internet. Les journaux et les diffuseurs de télévision ne seront plus des intermédiaires obligés entre les clients et les agences de presse. On pourra directement leur délivrer une information approfondie, hiérarchisée sur mesure selon leurs besoins, et financée par une publicité ciblée.» La qualité du contenu enfin récompensée.

Gilles Pouzin


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