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Rédigé
le 20 mars 2000 |
Peut-on gagner de l'argent facilement en participant aux introductions en
Bourse?
C'est la question que se posent de nombreux épargnants en apprenant
les performances stupéfiantes de quelques start-ups ayant récemment
ouvert leur capital au grand public. Lire l'encadré concernant l'avis
d'Olivier de Bourayne, gestionnaire au CIC Asset Management.
Ainsi, dès sa première cotation, l'action de la société Internet Multimania s'envolait de 247% par rapport à son prix d'origine. Et ce gain rapide n'est pas un cas isolé. Du jour au lendemain, les investisseurs qui avaient souscrit à l'introduction en Bourse de Liberty Surf ont vu leurs actions gagner 51% tandis que celles de la société informatique Sys-Com grimpaient de 60%.
En apparence, les résultats de ces introductions ont de quoi faire des envieux. Dans la réalité, c'est une autre affaire. En effet, les épargnants qui ont demandé 100 actions lors de l'introduction en Bourse de Liberty Surf n'en ont obtenu que cinq. Ceux qui avaient réservé la même quantité de titres pour les autres opérations n'ont eu que huit actions Fimatex, cinq Self Trade, une Sys-Com et une action Multimania et demi.
L'origine de ce problème est simple. Ces sociétés souhaitent que leur introduction en Bourse soit un succès et elles s'appuient parfois sur des campagnes publicitaires dignes de celles des privatisations. Or, le nombre d'actions offertes n'est pas du tout à la hauteur de la demande qu'elles suscitent. Alors que chaque vente d'actions France Télécom par l'Etat représentait plus de 40 milliards de francs, la plus grosse introduction au Nouveau Marché, celle de Fimatex, ne dépassait pas 1,4 milliard. Et la part destinée aux particuliers ne représentait que 20% de ce montant, soit 280 millions de francs. Pour une société plus petite, comme Sys-Com, seules 131 000 actions étaient offertes aux épargnants, soit à peine 20 millions de francs. Du coup, ils n'ont eu qu'une action chacun.
Maigre plus-value
Avec si peu de titres, le gain réalisé en valeur absolue,
c'est à dire en francs, est beaucoup moins intéressant que ce
que laisse penser l'envolée de l'action. Dans le cas de Liberty Surf,
par exemple, la plus-value de 51% réalisée dès l'introduction
ne représentait en réalité qu'un gain de 689 francs pour
ceux qui avaient obtenu le maximum de cinq actions. Et encore, ce calcul ne
tient pas compte des frais, qui peuvent être très variables d'un
courtier à l'autre. Un client de Cortal qui aurait vendu ses cinq actions
par Internet dès la première cotation aurait ainsi payé
63,29 francs de frais. Contrairement aux privatisations, sur lesquelles les
courtiers ne prélèvent aucun frais de souscription, les introductions
peuvent également entraîner des frais d'attribution. Un client
de Cortal se verrait ainsi prélever 102,84 francs de frais pour "affectation
de titres lors d'une introduction". Une fois tous ses frais déduits,
la plus-value réalisée sur la plupart des introductions en Bourse
est bien maigre. Et si elle est trop faible pour couvrir les frais, comme avec
les actions Selftrade, le gain peut même se transformer en perte. Sauf
pour les privilégiés qui ont obtenu plus de titres.
Consulter le tableau"Six introductions en Bourse à la loupe"
Obtenir plus d'actions
à moindre frais
Pour résoudre les problèmes rencontrés par les épargnants
lors des introductions en Bourse, les entreprises et les intermédiaires
ont imaginé de nouveaux services. Premièrement, réduire
les frais. Le courtier en ligne Consors propose ainsi un "Accès gratuit
aux actions Liberty Surf jusqu'au 15 juin" tandis que son concurrent Etna Finance
promet à ses 500 premiers clients l'achat et la vente sans frais de toutes
les introductions en Bourse de l'année 2000.
La seconde solution, probablement plus convaincante, est de permettre aux épargnants d'obtenir davantage d'actions. Une nouvelle mode consiste ainsi à réserver une part importante des titres introduits en Bourse pour les clients de l'entreprise. Sur les 2,3 millions d'actions Selftrade offertes au public, la moitié était ainsi réservée aux clients du courtier en ligne. Ces derniers ont ainsi obtenu jusqu'à 90 actions chacun au lieu des 5 allouées aux autres épargnants. Même principe pour l'introduction en Bourse de Fimatex: 37,5% des actions offertes aux particuliers étaient en réalité réservées à ses clients. Un client ayant demandé 900 titres en a ainsi obtenu 296. Cette méthode ne fonctionne pourtant pas à tous les coups. Bien qu'un quart des actions Multimania ait été réservé aux utilisateurs de son service Internet, ces derniers n'ont obtenu qu'une action et demi chacun. En outre, les épargnants ne peuvent pas être clients de toutes les sociétés qui s'introduisent en Bourse.
Les règles des
introductions évoluent
Une autre solution originale pour permettre aux particuliers d'obtenir
davantage de titres est celle proposée par First-offer.com, le service
d'accès privilégié aux introductions en Bourse par Internet
du groupe Oddo Pinatton. Son principe est simple. Lors de chaque introduction,
une part importante des titres est réservée aux investisseurs
institutionnels, c'est ce qu'on appelle le "placement garanti". Lire l'encadré
"Quelques définitions".
La société de Bourse Oddo Pinatton, qui réalise de nombreuses introductions en Bourse, a décidé d'attribuer aux abonnés de son service First-offer.com une partie des actions qu'elle réserve habituellement aux institutionnels. Moyennant une commission de 117,68 francs par opération, les adhérents de First-offer.com devraient obtenir le nombre de titres qu'ils souhaitent. Ce type de service, assez répandu aux Etat-Unis, devrait se développer en France. La banque d'affaires suédoise Electronic public offering (www.EPO.com) et son homologue allemande Net Initial public offering (www.NetIPO.fr) proposent déjà ce service dans leurs pays d'origine et préparent le démarrage de cette activité en France.
Un jeu à double
tranchant
Obtenir le plus d'actions possibles pour profiter de leur envolée
dès le premier jour de leur introduction en Bourse peut être une
stratégie payante à court terme. Mais c'est aussi un jeu dangereux.
En effet, quand la Bourse monte, les introductions sont très recherchées
et les entreprises en profitent.
En Angleterre, la demande pour les actions du site Internet Lastminute.com était si forte que la société a augmenté son prix d'introduction de 67% par rapport à son projet initial. Et aux Pays-Bas, l'introduction en Bourse du site Internet World Online semblait une si bonne affaire pour sa présidente, Nina Brink, que cette dernière en a profité pour vendre l'essentiel de ses actions. Dans les deux cas, la flambée à l'introduction n'a été qu'un feu de paille et les actions sont redescendues en dessous de leur prix initial. A Paris, les investisseurs qui ont racheté des actions Multimania le premier jour de sa cotation ont aussi connu un revers de flamme: l’action a reperdu la moitié de sa valeur par rapport au cours des premières transactions. Si ces anecdotes sont caricaturales du climat actuel, elles illustrent aussi une tendance de fond.
Des chercheurs de l'université de l'Iowa ont en effet passé au crible près de 2 300 introductions en Bourse réalisées aux Etats-Unis entre 1979 et 1991. Selon leurs travaux, les sociétés qui s'introduisent en Bourse voient leurs actions grimper, en moyenne, de 8% le premier jour. Mais dans les trois ans qui suivent, leur cours affiche une performance inférieure de 20% à celle des principaux indices boursiers.
Bien sûr, cela ne remet pas en cause la réussite éblouissante de start-ups devenues géantes, comme Microsoft ou Cisco. Cela veut seulement dire que la plupart des introductions sont promises à un destin bien moins brillant. Dans la pratique, cela signifie que les épargnants s’exposent à plus de déceptions en se précipitant sur les dernières introductions à la mode qu’en misant sur les valeurs phares de la cote.
Gilles Pouzin