Internet High-Tech > Rédigé le 10 décembre 1996
Les perspectives du cybercommerce :
Tout est en place pour faire décoller le marché.

Dans dix ans, 20% des dépenses des ménages transiteront par Internet. Ce n'est pas de la science-fiction mais l'estimation faite par le vice-président du très sérieux cabinet d'audit Booz, Allen & Hamilton. Cette prévision est probablement trop optimiste, mais elle a le mérite de mettre en avant le potentiel économique fabuleux de ce nouveau moyen de communication. Qui aurait cru, il y a quinze ans, que le Minitel, qui n'était alors qu'un simple annuaire électronique, allait donner naissance à un marché de près de 10 milliards de francs d'échanges de biens et services? Aujourd'hui, Internet est dans la même situation. Le réseau des réseaux a passé avec succès l'étape de vulgarisation. Il aborde sa phase de mercantilisation et d'industrialisation avec une frénésie qui frôle l'emballement.

Environnement favorable
La toile de liens informatiques autrefois réservée aux militaires et aux chercheurs a été domestiquée par les grands fournisseurs de services en ligne comme America On Line (AOL), Prodigy et Compuserve, qui ont converti 17 millions d'Américains à Internet. En comptant les autres fournisseurs d'accès, l'Amérique compte aujourd'hui 46 millions de personnes ayant accès au réseau, soit plus d'une personne sur cinq. Ces dernières statistiques disponibles, recueillies par le cabinet d'étude Nielsen en avril dernier, montraient une augmentation de 50% par rapport au sondage réalisé sept mois plus tôt.

«Ce type d'élargissement et de croissance exponentielle est sans précédent, explique Asim Abdullah, directeur général de Commerce Net, l'association américaine pour la promotion du commerce sur Internet. Il existe clairement un marché gigantesque pour le commerce électronique, permettant aux entreprises de choisir l'Internet comme une alternative sérieuse pour la vente de produits et services.» Les foyers sont certes moins bien équipés que les entreprises. Selon les estimations, ils ne seraient que 15 à 18 millions à avoir accès à Internet chez eux. Mais ce sont les plus actifs. L'utilisation la plus fréquente d'Internet est en effet pour usage personnel (45%), suivie par l'usage professionnel (33%) et l'éducation (16%), (voir les encadrés Le commerce sur Internet en quelques chiffres et Des sites pour se renseigner sur le cybercommerce).

Perspectives encourageantes
La demande est là. Selon le sondage de Nielsen, 15% des clients de services en ligne aux Etats-Unis ont déjà acheté quelque chose sur Internet. D'après les estimations du cabinet Jupiter Communications, un consultant New Yorkais très écouté chez les professionnels du Web, le chiffre d'affaires réalisé sur Internet aux Etats-Unis aurait été de 576 millions de dollars en 1995, il serait de 1,2 milliard de francs cette année et atteindrait 7,3 milliards de dollars en l'an 2000. Cette accélération doit beaucoup à l'élargissement de la clientèle. On ne compte plus que 11% d'informaticiens parmi les nouveaux utilisateurs, contre 23% au printemps 1995. Mais surtout, de plus en plus de femmes (40% des nouveaux venus contre 33% il y a dix-huit mois), ce qui serait un très bon signe pour les perspectives commerciales d'Internet.

Aux Etats-Unis, les femmes sont responsable de 70% de toutes les ventes de détail. Elles ne génèrent pour l'instant que 25% des achats sur Internet mais devraient y recourir de plus en plus pour faire leurs courses. Le marchand de disques CD Now, qui vend 400 000 CD par mois sur Internet a aujourd'hui plus de 30% de femmes dans sa clientèle, contre 21% il y a un an, et le grand magasin Cybershop revendique 45% de clientèle féminine contre 30% il y a six mois. Ce marché n'a évidemment pas échappé aux publicitaires. Selon une autre étude de Jupiter Communications, le chiffre d'affaires de la publicité sur Internet et sur les principaux services en ligne devrait avoisiner 300 millions de dollars en 1996.

L'Europe s'y met
Si le phénomène Internet a connu son essor le plus impressionnant aux Etats-Unis, les autres continents n'y sont pas restés totalement indifférents. Selon les estimations de Jupiter Communications, le bassin pacifique recense 3,4 millions de foyers connectés, dont 2,6 millions au Japon, et l'Europe en compte 3,7 millions, dont 2 millions en Allemagne, 682 000 en Grande Bretagne et seulement 170 000 en France. Le rattrapage de ces trois derniers pays devrait être rapide. Pour l'an 2000, Jupiter prévoit 6,9 millions de foyers connectés en Allemagne, 4,3 millions en Grande Bretagne et 1,2 en France. Du coup, les perspectives commerciales deviennent alléchantes. Selon les prévisions du cabinet d'études britannique Datamonitor, 10,5 millions de foyers européens devraient faire leurs courses sur Internet en 2001, générant un chiffre d'affaires de 5 milliards de dollars.

La France hésite
Au milieu de ce tourbillon de chiffres, la France garde son image paisible de village gaulois, épargné par la contamination du syndrome Internet. On ne peut pourtant pas dire que la France soit en retard en matière de télématique. Avec 6,5 millions de terminaux déployés sur le territoire et plus de 25 000 serveurs consultables, le Minitel a une bonne longueur d'avance dans la démocratisation des services en ligne. Le standard est éprouvé et les serveurs sont nettement plus rapides d'accès et plus faciles à consulter que sur Internet. Même le commerce y est florissant. Le Minitel enregistre plus de 300 000 transactions par an et génère un chiffre d'affaires de 6,5 milliards de francs, en plus des 3 milliards de francs de connexions que France Télécom reverse directement aux gestionnaires des serveurs.

Seul problème : le Minitel est une invention de France Télécom, le roi du monopole et du marché fermé. A l'opposé, son concurrent Internet repose sur une technologie ouverte à tous ceux qui veulent l'exploiter pour développer leur entreprise. Alternative nettement plus motivante qui explique l'attention que lui prêtent les milieux d'affaires Outre Atlantique. «Toute l'économie américaine démarre sa réorganisation autour de l'Internet, prévient Jean-Michel Billaut, responsable de la veille technologique à l'atelier de la Compagnie Bancaire. Compte tenu du poids de cette économie, il va falloir s'y mettre si on ne veut pas être les arriérés de la société de l'information.» (lire encadré Billaut: «Ils n'ont jamais mis les mains sur un clavier.»)

Personne à la caisse
Cette mise en garde devrait secouer les 67% de chefs d'entreprises français qui considèrent encore qu'Internet est une mode. En effet, selon un sondage de notre confrère Enjeux, seules 9% des entreprises françaises sont connectées à Internet et seulement 2,9% ont déjà un site Web. On ne parle même pas de cybercommerce. Comme nous le faisait remarquer un internaute : «la boutique est ouverte mais il n'y a personne à la caisse». Et on ne croise pratiquement aucun Français dans les Newsgroups anglophones qui permettent, sur Internet, de discuter de commerce international ou de chercher des clients ou des partenaires étrangers.

Heureusement, il y a des exceptions qui confirment la règle, comme Aymon de Saint Priest, un courtier qui vient d'ouvrir son site Internet pour vendre du Champagne à l'étranger (à l'adresse http://www.aymon.com) et a déjà reçu des commandes de plusieurs milliers de bouteilles pour l'Extrême-Orient. D'autres initiatives se sont développées pour exporter les trésors gastronomiques français, comme Le Marché de France (lire l'article Comment faire ses courses sur Internet?). Même des sociétés ayant des serveurs Minitel lucratifs commencent à offrir les même services sur Internet. C'est le cas notamment des grandes sociétés de vente par correspondance, ou de l'agence de voyage Dégriftour, qui vend en moyenne 25 voyages par jour sur son site Internet. Comme nous le confiait Damien Roth, qui vend des montres sur son site Internet (à l'adresse http://fc-net.fr/CRT/horlo.html) : «Il faut y croire, car le commerce de demain passera certainement par là... aussi!»

Gilles Pouzin

Le commerce sur Internet en quelques chiffres
- 500 000 sites par an, c'est le rythme auquel se créent actuellement les sites Web, soit 1 nouveau site toutes les 5 minutes.
- 15 000, c'est le nombre de Newsgroups, c'est à dire de groupes de discussion sur lesquels on peut échanger des idées sur tous les sujets avec des internautes du monde entier.
- 300 millions de dollars, c'est le montant des ventes d'automobiles négociées sur Internet aux Etats-Unis en 1996.
- 170 000, c'est le nombre de foyers français ayant accès à l'Internet qui sont moins nombreux que les internautes Hollandais ou Italiens.
- 19%, c'est la proportion de foyers français qui devraient être connectés à Internet en l'an 2000
- 300 millions de dollars, ce sont les achats d'espace publicitaire sur Internet en 1993. Microsoft, le premier annonceur, en a acheté pour 3 millions de dollars.
- 5 heures 28 minutes, c'est le temps que les personnes connectées passent en moyenne sur Internet chaque semaine.
- 14, c'est le nombre de sites Web par habitant en Finlande, soit plus qu'aux Etats-Unis (12 par habitant) et qu'en France (0,1 par habitants).

Des sites pour se renseigner sur le cybercommerce
-Commercenet : Consortium de 150 sociétés et organisations pour la promotion du commerce sur Internet.
-Nielsen : Etudes de marché sur les clients d'Internet et l'équipement multimédia.
-Jupiter Communications : Un consultant New Yorkais spécialisé dans le business sur Internet.
-Compagnie Bancaire : Le site de veille technologique des protagonistes français du commerce sur Internet.
-Alain Plamondon : Une thèse très complète d'un étudiant canadien sur le cybercommerce.
-Nomade : Un moteur de recherche en français pour tout trouver.

Billaut: "Ils n'ont jamais mis les mains sur un clavier"
«Le commerce sur Internet démarre. On ne sait pas bien le temps qu'il va mettre pour se développer mais, à terme, son potentiel est gigantesque. L'investissement minimum pour vendre sur Internet commence à 500 dollars, mais ce qui manque le plus en France, c'est la volonté d'y aller. Alors que les Américains considèrent l'informatique comme une arme concurrentielle, la plupart des dirigeants français n'y voient encore que des frais généraux. Ils n'ont jamais mis les mains sur un clavier et n'imaginent pas les atouts qu'ils pourraient tirer d'Internet.» Jean-Michel Billaut, responsable de la veille technologique à l'atelier de la Compagnie Bancaire.


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