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Rédigé le 16 septembre 1998
Il faut brider les marchés financiers :
Comment contrôler les investissements étrangers?

Les marchés financiers ont la mémoire courte. Mais ils ne sont pas les seuls. Après la mode des marchés émergents, le retrait désordonné des capitaux étrangers met en danger leur fragile équilibre économique. Du coup, les marchés sont accusés de tous les maux et les bienfaits dont on les créditait sont oubliés. "Depuis trente ans le PIB par habitant a cru de 5% ou plus par an en Indonésie, en Corée, en Malaisie et en Thaïlande", explique avant tout Joseph Stiglitz, l'économiste en chef de la Banque Mondiale. Un résultat qui n'aurait pas pu être atteint sans l'épargne des pays riches.

Le Japon a commencé le premier à investir dans les pays émergents d'Asie pour compenser sa perte de compétitivité. "Ces investissements ont généré un boom des exportations, explique Andy Xie, économiste de la banque américaine Morgan Stanley à Hong Kong. Les marchés financiers ont alors exagéré le succès de ces pays et ont déversé trop de capitaux dans des investissements domestiques qui ont engendré des bulles spéculatives." Les flux d'investissements à long terme vers les pays émergents ont plus que décuplé depuis dix ans, atteignant 256 milliards de dollars en 1997.

Retrait déstabilisant
Le problème révélé par la crise est que ces flux de capitaux colossaux ont aussi des effets pervers. Leur retrait est évidemment déstabilisant, mais c'est avec leur arrivée que les ennuis commencent. Du coup, des propositions de tous horizons militent pour brider les marchés. A l'automne dernier, le premier ministre malais Mahathir a ainsi accusé George Soros d'être à la tête d'une conspiration de spéculateurs. Cette thèse ne résiste pas aux examens sérieux (lire encadré Faut-il brûler les hedge funds?). En revanche, des économistes plus sérieux réfléchissent aux solutions qui permettraient de brider les marchés sans pour autant renier les bienfaits de la libre circulation des capitaux.

1 - Empêcher les sorties de capitaux
"Si les investisseurs se sont trompés en investissant trop massivement chez nous ils se trompent peut-être à nouveau en voulant rapatrier leurs capitaux en catastrophe aujourd'hui", estiment de nombreux hommes politiques asiatiques. Cette observation rend la tentation de contrôler les sorties de capitaux légitimes. Mais est-ce faisable et est-ce efficace? Les pays qui étaient les plus fermés aux mouvements de capitaux, comme la Chine ou l'Inde, sont jusqu'à maintenant relativement isolés de la crise financière.

La situation est plus délicate pour les pays qui se sont ouverts aux investisseurs étrangers et qui voudraient maintenant les empêcher de sortir. Techniquement, c'est toujours possible, en interdisant le rapatriement des sommes provenant de la vente de titres ou d'actifs locaux. "Ce serait au mieux une solution temporaire qui négligerait les conséquences à long terme d'un renchérissement du coût des capitaux externes", estime Steve Roach, le stratégiste en chef de Morgan Stanley. En effet, les investisseurs étrangers ne seraient pas prêts de réinvestir dans un pays qui les aurait pris aux piège une fois.

2- Contrôler les entrées de capitaux
Les sorties de capitaux sont surtout un problème pour les pays qui les ont laissé rentrer. Du coup, l'idée de contrôler les investissements étrangers dès leur arrivée est considérée par de nombreux économistes comme une des solutions les plus raisonnables pour éviter ou limiter l'effet de contagion des crises financières. L'expérience menée par le Chili a démontré la faisabilité de ces mesures (lire encadré Le modèle chilien). "L'efficacité d'ensemble de ces contrôles est sujette à discussion, tempère Joseph Stiglitz, mais il faut reconnaître que les contraintes qu'ils ont introduites ont rallongé l'horizon des investissements étrangers entrant au Chili."

L'économiste de la Banque Mondiale propose d'ailleurs d'autres solutions pour éviter de rendre les pays en développement trop dépendants de financement étrangers précaires. "Il faut éliminer les impôts, les réglementations et les distorsions politiques qui ont en fait stimulé les flux à court terme, explique-t-il. Une possibilité est par exemple de limiter la déductibilité des intérêts sur les emprunts en devises étrangères des entreprises locales." Une mesure qui serait selon lui plus facile à appliquer que le système chilien et tout aussi efficace.

3 - Donner des contreparties commerciales
Une interprétation qui peut paraître iconoclaste par les temps qui courent est que le libéralisme n'est pas allé assez loin... de la part des pays développés. Puisque les pays en développement subissent aujourd'hui le contrecoup de l'ouverture préconisée par les occidentaux, ces derniers devraient faire un effort pour compenser les méfaits des marchés. Ce serait encore la meilleure solution pour éviter un repli de ces pays sur eux-mêmes. "L'occident devrait soutenir les changements structurels en Asie en ouvrant davantage ses marchés aux produits asiatiques", suggère ainsi Andy Xie. Cet économiste considère que la suppression des quotas imposés par les pays riches réduiraient les déséquilibres financiers mondiaux en offrant des débouchés plus équitables aux produits asiatiques.

Notes : 75% des flux d'investissements privés vers les pays en développement se sont concentrés sur une douzaine de pays.
Les transactions sur le marché des changes dépassent 1 500 milliards de dollars par jour.

Gilles Pouzin
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