Rédigé
en octobre 1999 |
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Votre
retraite est menacée
C'est le Premier ministre,
Lionel Jospin, qui l'a lui-même reconnu. "2005 marquera le début
du départ en retraite des générations nées dans
l'immédiat après-guerre", écrivait-il l'an dernier
au commissaire général du plan, Jean-Michel Charpin, pour lui
commander un rapport sur l'avenir des retraites. "À partir de cette
date, poursuivait le Premier ministre, l'équilibre de nos régimes
de retraite deviendra très fragile." Et 2005, ce n'est pas de la
science-fiction, c'est dans cinq ans.
Le message est clair et les Français l'ont bien compris : 74% d'entre eux considèrent qu'il ne sera pas possible de garantir le niveau actuel des retraites, selon un sondage réalisé par l'Ifop en mars 1999. Mais nos compatriotes restent pourtant d'un naturel optimiste. Alors que les pouvoirs publics les exhortent à prendre leur retraite plus tard pour préserver des revenus décents, la majorité des Français aspire à un rêve totalement opposé. Selon une enquête Ipsos d'août 1999, 59% des personnes interrogées souhaitent s'arrêter plus tôt, quitte à percevoir moins de revenus. Aussi paradoxal qu'elle puisse être, cette aspiration semble finalement légitime. Les actifs qui entendent parler depuis longtemps de la société des loisirs aimeraient eux aussi en profiter le plus tôt possible. Impossible, diront les défaitistes. Pas forcément.
Prendre sa retraite avant les autres est, avant tout, une question d'argent. De beaucoup d'argent. Mais de combien au juste ? Pour aider ceux qui seraient tentés de franchir le pas, nous avons passé en revue les étapes de préparation d'un tel projet, et les questions qu'elles soulèvent, en réalisant des simulations selon le profil de carrière, l'âge actuel et l'âge de départ en retraite envisagé.
Nous avons d'abord évalué les retraites auxquelles vous aurez droit, puis nous avons calculé le capital que vous devriez amasser pour conserver un niveau de vie décent en interrompant votre carrière plus tôt. Enfin, nous avons évalué ce que vous devriez épargner chaque mois, et comment vous devriez investir cet argent pour constituer le meilleur complément de retraite possible. Bien sûr, il existe tellement de situations personnelles différentes que ces simulations n'ont qu'une valeur d'exemple. Mais elles donnent tout de même une idée concrète de l'argent nécessaire pour prendre sa retraite avant les autres.
Les
retraites sont des promesses fragiles
Année après
année, les retraites se dégradent. Cette réalité
est souvent abstraite, quand elle est exprimée en milliards de francs
de déficits des caisses de retraite. Elle devient nettement plus parlante
quand les actifs voient leurs cotisations augmenter et que les retraités
constatent la stagnation de leurs pensions. "En cinq ans, le pouvoir d'achat
des retraites a diminué de 4,4% tandis que le prix d'achat des points
qui donnent droit à ces retraites a augmenté de 23%", explique
Stéphane Girardot, spécialiste des retraites chez Fleming Finance.
Les réformes successives ne font qu'empirer les perspectives des cotisants d'aujourd'hui. La loi du 22 juillet 1993 a discrètement allongé la base de calcul de la retraite de base des 15 meilleures années de votre carrière aux 25 meilleures années, ce qui se traduit par une baisse de 25% des pensions versées par la Sécurité sociale. Cette année, la retraite de base du régime général est ainsi plafonnée à 7.235 francs pour ceux qui ont cotisé à plein tarif pendant 39 ans. Les générations futures seront moins gâtées. À partir de 2003, il faudra avoir cotisé pendant au moins 40 ans pour avoir droit à une retraite de base complète. Et le rapport de Jean-Michel Charpin préconise d'allonger encore la durée de cotisation, à 42 ans et demi. Adieu la retraite à 60 ans! Les étudiants, entrés dans la vie active à 25 ans, devraient travailler jusqu'à 67 ans et demi pour profiter pleinement de leur pension de Sécurité sociale.
Sauf s'ils ont travaillé quelques mois avant leur service militaire. En effet, certaines périodes d'inactivité confèrent des droits à retraite, comme le congé de maternité, de maladie, ou les périodes de chômage. Dans certains cas, il est également possible de racheter des trimestres de retraite manquants, notamment pour ceux qui ont travaillé à l'étranger.
Quelle
pension aurez-vous?
Compte tenu de
l'évolution des systèmes de retraite, nous avons demandé
au groupe CRI, qui gère les problèmes de prévoyance et
de retraites supplémentaires des entreprises, d'évaluer la retraite
à laquelle vous auriez droit en fonction de l'âge auquel vous cesseriez
votre activité. Nous avons retenu le cas de trois cadres.
Dans tous les cas, le premier constat est que, même en prenant leur retraite à l'âge minimum légal de 60 ans, leurs revenus subiraient une forte baisse par rapport à leurs derniers salaires. Deux solutions possibles : soit ils veulent garder un train de vie aussi confortable que durant leur carrière. Dans ce cas, ils auront plutôt intérêt à prendre leur retraite à 65 ans qu'à 60 ans. Soit ils considèrent que, de toute façon, vu le niveau de retraite qu'on leur promet, il vaut mieux s'arrêter de travailler plus tôt, quitte à gagner moins. Bien sûr, les pénalités prévues par les systèmes de retraites sont importantes. La retraite de base de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (la CNAV) est ainsi réduite de 2,5% par trimestre manquant (en dessous des 39 années de cotisation actuellement requises) pour toutes les personnes qui prennent leur retraite avant 65 ans. De ce point de vue, il est intéressant de noter que les personnes qui prennent leur retraite à 60 ans sont plus fortement pénalisées que celles qui travaillent jusqu'à 65 ans. Ainsi, une personne qui aurait travaillé 35 ans et qui prendrait sa retraite à 60 ans ne toucherait que 4.051 francs (au maximum) de pension de la Sécurité sociale. Alors qu'une personne qui aurait également travaillé 35 ans mais qui prendrait sa retraite à 65 ans toucherait, elle, 6.752 francs, c'est-à-dire 66% de plus.
En réalité,
c'est plus au niveau de la retraite complémentaire que l'interruption
de carrière se fera sentir. La retraite des régimes complémentaires
Arrco (pour tous les salariés) et Agirc (pour les cadres) est en effet
strictement proportionnelle à leurs cotisations. Plus un salarié
touche un salaire élevé pendant longtemps, plus il achète
de "points" de retraite Arrco et Agirc qui lui donnent droit à
une pension. Le profil de carrière est alors l'élément
le plus important pour déterminer la retraite à laquelle vous
aurez droit.
Les cas que nous avons retenus sont en l'occurrence pénalisés
par une carrière qui progresse trop régulièrement. "Les
cadres qui approchent aujourd'hui de la retraite ont souvent connu une forte
hausse de leurs revenus en début de carrière et un ralentissement
après quarante ans, explique Yves Le Nail, directeur adjoint du groupe
CRI. Mais cette progression était due en partie à la forte inflation
de l'époque. Les carrières d'aujourd'hui sont plus régulières."
Du coup, travailler plus longtemps pour avoir une meilleure retraite n'est plus
aussi rentable que par le passé, car les cotisations ne s'accumulent
plus aussi rapidement qu'avant. Nos simulations montrent par exemple que la
différence de retraite n'est pas énorme, que l'on s'arrête
de travailler à 60 ans ou à 55 ans. S'il choisissait cette option,
notre cadre moyen verrait sa retraite amputée de 13%, tandis que nos
cadres supérieurs et dirigeants verraient leurs retraites réduites
de 22 et 24%, en raison de leur entrée plus tardive dans la vie active.
Rien
ne sert de cotiser, il faut partir à temps Pour la suite de ce dossier, nous avons considéré
qu'une personne souhaitant prendre sa retraite avant l'âge légal
aurait des ambitions financières relativement modestes : avoir les mêmes
revenus que si elle avait travaillé jusqu'à 60 ans. Évidemment,
cela ne tient pas compte des dépenses auxquelles il faut faire face lorsque
l'on ne travaille pas, notamment le coût élevé des assurances
médicales. Mais c'est aussi une façon de rappeler que prendre
sa retraite avant les autres pose d'autres problèmes qui ne se résument
pas uniquement à des questions d'argent.
Dans
ces conditions, prendre sa retraite avant les autres n'est peut-être pas
aussi absurde et irrationnel qu'il y paraît. En effet, à quoi bon
s'épuiser au travail et cotiser pour des retraites que l'on n'aura pas,
quand on peut aspirer à un autre style de vie sans attendre l'âge
fatidique.