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Rédigé le 08 décembre 1998 |
Grâce à leurs investissements gigantesques,
les fonds de pension américains sont devenus des acteurs familiers de
la Bourse de Paris. Et des actionnaires très influents réputés
pour leurs exigences vis-à-vis des entreprises françaises dans
lesquelles ils investissent. Corporate governance (gouvernement d'entreprise)
et shareholder value (création de valeur pour les actionnaires) sont
leur leitmotiv, pour le plus grand ravissement des petits épargnants.
Les fonds de pension américains réclament ainsi aux entreprises
françaises une rentabilité de 15% de leurs fonds propres, soit
presque 50% d'amélioration, afin de regonfler leur cours de Bourse.
Exigeants
vis-à-vis des entreprises françaises
L'activisme public des fonds de pension n'est pourtant que la partie émergée
de l'iceberg. On sait en revanche peu de choses sur les recettes qui font le
succès de ces caisses de retraites un peu particulières. Pourquoi
les fonds de pension ont-ils des réserves aussi colossales? Comment construisent-ils
leur stratégie et comment investissent-ils leur argent? Peuvent-ils servir
de modèle aux futurs fonds de pension à la française qui
devraient voir le jour l'an prochain.
Pour répondre à ces questions nous nous sommes glissés dans les coulisses du plus grand fonds de pension américain, Calpers, qui gère plus de 850 milliards de francs. Les petits épargnants français ont évidemment peu de points communs avec cette institution multimilliardaire d'outre-Atlantique. Mais ils partagent néanmoins un objectif similaire: faire fructifier leur épargne pour préparer leur retraite.
Sacramento
carrefour du Far West
A 130 kilomètres au nord-est de San Francisco, à mi-chemin entre
l'Océan Pacifique et la Sierra Nevada, Sacramento est une ville de province
tranquille. Elle fut autrefois le carrefour du Far West et de la ruée
vers l'or, dont elle garde encore quelques vestiges touristiques. Aujourd'hui,
Sacramento est la capitale administrative de l'état de Californie. Loin
de l'effervescence des affaires, elle se consacre à des missions politiques
de la plus haute importance. C'est ici, à quelques rues du Capitol où
siège le parlement californien, que Calpers a établi son quartier
général.
Derrière son image faussée de cagnotte dorée, Calpers n'est pas un hedge fund spéculatif. Au contraire! Calpers est le California Public Employees' Retirement System, c'est à dire la caisse de retraite des fonctionnaires de Californie. Il collecte les cotisations des employeurs et distribue des pensions aux retraités. Contrairement au système français fondé sur la répartition, Calpers est un fonds de capitalisation, c'est à dire que les cotisations d'aujourd'hui seront capitalisées et reversées plus tard aux souscripteurs sous forme de retraite. Il ne s'agit donc pas de distribuer aux retraités d'aujourd'hui les cotisations des actifs.
700
personnes pour gérer 145 milliards de dollars
Cette différence explique à elle seule les réserves colossales
accumulées par Calpers et les autres fonds de pension américains
depuis une vingtaine d'années (voir encadré 6
000 milliards de dollars en 25 ans). Pour atteindre
leurs objectifs, les fonds de pension doivent suivre une méthode d'investissement
extrêmement stricte.
Calpers prépare et administre les retraites de plus d'un million de personnes et gère 145 milliards de dollars ce qui nécessite le travail de 700 personnes à plein temps, sans compter les gestionnaires et les consultants externes. "Nous ne pouvons pas donner de conseils aux particuliers car notre situation est très différente", précise modestement un porte parole de Calpers. Pourtant, une fois ces distinctions prises en compte, la méthode de gestion de Calpers se découpe schématiquement en trois étapes dont les futurs souscripteurs de fonds de pensions français pourraient s'inspirer. 1- Estimer ses besoins, 2- Evaluer l'épargne nécessaire, 3- Investir régulièrement de façon prudente et dynamique. La gestion financière est l'une des clés du succès des fonds de pension américains. Mais le fonctionnement démocratique de Calpers, la transparence et le contrôle de ses décisions en font aussi un modèle exemplaire que les fonds de pension français devraient impérativement suivre pour assurer la continuité de nos retraites.
Estimer
ses besoins
Estimer ses besoins est sans doute l'étape préalable la plus importante
pour un fonds de pension. "Nous devons être sûrs de pouvoir
payer la retraite du plus jeune salarié embauché, au dollar près,
jusqu'au dernier jour de sa vie", explique Bill Crist, le président
de Calpers. Le fonds de pension doit donc évaluer combien il a promis
de verser à chaque employé pour sa retraite.
Dans le cas de Calpers, il s'agit d'un pourcentage du dernier salaire pour chaque année d'ancienneté. Les fonctionnaires de l'Etat californien ont ainsi droit à une pension équivalente à 2% de leur dernier salaire par année d'ancienneté, soit 90% de leur dernier salaire pour ceux qui ont fait une carrière complète de 45 ans. En France, un cadre de quarante qui voudrait se constituer un complément de retraite devrait prévoir un complément de retraite équivalent à 40% de son dernier salaire, car les régimes de retraites actuels devraient lui garantir au moins 60% de son revenu.
La question la plus délicate reste de savoir pendant combien de temps il lui faudra ce revenu complémentaire. Calpers base ses calculs de pensions sur l'espérance de vie moyenne de ses bénéficiaires. Individuellement, on a plus de mal à estimer combien de temps il nous reste à vivre. Le mieux est d'être optimiste. D'ailleurs les tables de mortalité prospectives utilisées en France le sont. Selon ces statistiques, un jeune de 32 ans qui voudrait prendre sa retraite à 65 ans en 2031 aurait de fortes probabilités de vivre encore 21 ans, c'est à dire jusqu'à 86 ans.
Evaluer
l'épargne nécessaire
Une fois qu'un fonds de pension a évalué les retraites qu'il devra
verser, sa seconde préoccupation est de calculer combien il lui faudra
accumuler pour être en mesure de payer ces pensions le moment venu. Calpers
estime ainsi qu'il aurait besoin d'accumuler 417 milliards de dollars de réserves
d'ici 2020 pour faire face à ses engagements. Le fonds de pension calcule
ensuite les cotisations qu'il devra demander aux employeurs pour amasser une
somme aussi colossale. Heureusement, il peut aussi compter sur l'aide de la
Bourse. Comme le versement des retraites n'aura pas lieu avant vingt ou trente
ans, selon l'âge des bénéficiaires concernés, le
fonds de pension doit prendre en compte une nouvelle hypothèse: combien
lui rapporteront les cotisations collectées et patiemment investies durant
toutes ces années?
Performances
probables des prochaines années
Il est impossible de prévoir la performance des marchés financiers
avec certitude. Mais leur comportement passé permet d'établir
des hypothèses raisonnables. Cette tâche est confiée à
un consultant externe, Willshire, (voir tableau Les performances attendues par Calpers) qui fait une estimation du risque et des performances probables
des différents marchés pour les prochaines années. Dans
le cas de la Bourse américaine, par exemple, les performances récentes
sont trompeuses. L'envolée de 48,7% de l'indice Willshire 2500 entre
mars 1997 et mars 1998 biaise légèrement le gain annuel moyen
des dernières années (+22,4% sur cinq ans, +18,9% sur dix ans
et +17,7% sur vingt ans). Compte tenu du ralentissement attendu à Wall
Street, Willshire prévoit que les actions américaines rapporteront
autour de 10% par an sur les dix prochaines années. Mais la Bourse traverse
toujours des hauts et des bas, comme l'ont durement rappelé les montagnes
russes de cet été. Willshire prévoit donc que la performances
de Wall Street pourrait varier de 17% par rapport à son objectif moyen,
c'est à dire qu'elle évoluera entre -7% et +27% chaque année.
Compte tenu de toutes ces hypothèses, le consultant estime que la rentabilité
moyenne du portefeuille de Calpers devrait atteindre 9,1% par an en moyenne,
avec un écart de performance pouvant aller de -2,8% à +21%. Grâce
à l'envolée de la Bourse, la performance de Calpers a été
assez proche de ses prévisions les plus optimistes ces dernières
années. Mais les dirigeants du fonds de pension savent bien que la Bourse
ne peut pas monter éternellement et qu'il faudra aussi compter avec des
années de vaches maigres.
Investir
régulièrement de façon prudente et dynamique
Chez Calpers, investir en Bourse est la dernière étape de la stratégie
financière. En effet, les gestionnaires de fonds de pension considèrent
qu'il serait totalement imprudent de se lancer dans des placements sans savoir
la performance et le risque que l'on peut en attendre.
"Il n'y a pas de stratégie d'investissement idéale, explique un responsable de Calpers. Des répartitions d'actifs différentes peuvent avoir une bonne performance par rapport à leur niveau de risque, mais la question est de savoir quelle stratégie convient le mieux aux objectifs du fonds de pension." La composition du portefeuille de Calpers n'est donc pas un modèle parfait pour tout épargnant qui voudrait préparer sa retraite, mais sa construction est instructive. Le fonds de pension définit sa stratégie avec une prudence de père de famille. Son premier objectif est évidemment d'accumuler suffisamment de réserves pour payer ses retraites. Mais il doit aussi veiller à ce que les cotisations de retraite de ses bénéficiaires n'augmentent pas trop rapidement. Enfin le fonds de pension doit aussi protéger ses investissements contre le risque d'une perte importante en cas de tourmente boursière.
Nous
achetons et nous gardons
Pour gérer ses investissements au jour le jour, Calpers s'appuie sur
une méthode très simple. "Nous ne passons pas notre temps
à acheter et à vendre, confie Bill Crist, le président
du fonds. Généralement nous achetons des titres et nous les gardons.
Le taux de rotation de notre portefeuille est extrêmement faible pour
limiter au maximum les frais de transactions." Son style de gestion limite
aussi les hésitations dans la sélection des titres. "Nous
ne faisons pas de paris sur des valeurs ou sur des pays car une large part de
nos investissements est gérée de façon indicielle, poursuit
Bill Crist. Cette stratégie est la moins coûteuse en terme de recherche
et de frais de gestion, et nous trouvons qu'elle répond parfaitement
à nos objectifs de long terme.» Plus de 80% des investissements
en actions de Calpers sont ainsi gérées de façon passive,
c'est à dire que chaque investissement dans une société
est proportionnel à sa taille et que l'ensemble de ces investissements
suit la performance des indices boursiers, par exemple l'indice SBF 120 pour
les valeurs françaises.
20%
sont confiés à des gestionnaires externes
Mais Calpers ne place pas tout son portefeuille en gestion indicielle. Les 20%
restant sont confiés à des gestionnaires externes qui ont pour
mission d'investir en actions internationales et achètent régulièrement
des actions françaises (voir tableau Les
gestionnaires externes de Calpers). Le plus gros gestionnaire
d'actions européennes pour le compte de Calpers, et probablement d'actions
françaises, est Paribas Asset Management, la filiale qui gère
aussi les Sicav commercialisées par la banque et le fonds luxembourgeois
Parvest. C'est donc Paribas qui a probablement le plus d'influence sur les investissements
actifs de Calpers à la Bourse de Paris. On prend rapidement la mesure
de ses choix en analysant les positions de Calpers sur les valeurs de l'indice
CAC 40. Alors que les investissements actifs représentent en moyenne
25% des investissements indiciels de Calpers en actions non américaines,
cette proportion est nettement plus importante pour certaines valeurs. Résultat,
le fonds de pension a placé davantage d'argent sur l'action Suez Lyonnaise
qu'il n'en a sur Elf Aquitaine, dont la taille et le poids dans l'indice CAC
40 sont plus importants. Cela signifie que Calpers fait quand même des
paris sur certaines valeurs, à travers le choix de ses gestionnaires
externes.
Même s'il gère prudemment, le fonds de retraite n'hésite pas à dépenser quelques milliards pour profiter des opportunités créées par une panique boursière. "S'il y a des inquiétudes sur le fait que les fonds de pension puissent aggraver la volatilité des marchés dans les périodes agitées, cela ne nous concerne pas, affirme Bill Crist. Sur les cinq séances qui ont suivi le krach de 1987 nous avons acheté 5 milliards de dollars d'actions." Le résultat de cette stratégie est plutôt payant. Même s'il a eu des performances décevantes certaines années, comme en 1994 à cause du krach obligataire, Calpers n'a pas connu une seule année de baisse depuis quatorze ans (voir tableau Les performances passées de Calpers). Grâce aux gains de ces dernières années, la retraite des jeunes fonctionnaires californiens est assurée. "Une solide stratégie d'investissement à long terme nous a largement aidé à construire un fonds qui est bien préparé pour faire face aux retraites du 21ème siècle", déclarait récemment Charles Valdès, le président du comité d'investissements de Calpers.
Des
réserves capitalisées pour l'avenir
La stratégie d'accumulation de Calpers doit beaucoup à la performance
financière de ses placements, mais la première règle d'un
fonds de retraite par capitalisation est de ne pas payer les retraites d'aujourd'hui
avec les cotisations des retraités de demain. Si Calpers était
un fonds de retraite par répartition, comme nous en avons en France,
ses cotisations suffiraient à payer les retraites actuelles. En 1998,
par exemple, le fonds a collecté 1,5 milliard de dollars de cotisations
salariales et 3,5 milliards de cotisations patronales, soit un total de 5 milliards
de dollars qui couvre largement les 4,7 milliards de dollars versés aux
retraités. La grande différence est que Calpers pense aussi à
l'avenir. Avec le vieillissement de la population, les cotisations des salariés
de demain ne suffiront pas à payer les retraites promises aux salariés
d'aujourd'hui. Ce déséquilibre saboterait la solidarité
entre générations.
"L'alternative à la retraite par répartition est de maintenir des réserves qui nous permettent de toujours payer les retraites futures", insiste Bill Crist. Les 300 millions de dollars de cotisations excédentaires seront donc investis pour obtenir la meilleure performance à long terme. L'une des vertus de la retraite par capitalisation est que l'argent mis de côté rapporte des intérêts qui produisent eux-mêmes des intérêts. En plus de ses 300 millions de cotisations excédentaires, Calpers réinvestira cette année 5,6 milliards de dollars de dividendes, intérêts d'obligations et autres revenus tirés de ses placements boursiers et immobiliers. Cet effet boule de neige, ajouté à l'envolée de Wall Street, a permis aux réserves de Calpers de quintupler en treize ans, passant de 28 milliards de dollars en 1985 à plus de 140 milliards de dollars aujourd'hui.
Transparence
et démocratie
Contrairement à ce que l'on croit en France, les fonds de pension américains
ne sont pas des institutions patronales mais des caisses de retraite indépendantes
qui défendent les droits des cotisants avec l'appui des syndicats, souvent
contre la convoitise des employeurs. "C'est un rapport de force qui dure
depuis des années", traduit Patricia Macht, directrice de la communication
de Calpers. Pour garantir cette indépendance, la gestion du fonds de
pension est entièrement démocratique. D'abord, ses dirigeants
sont élus. Charles Valdes, le vice président de Calpers, a été
élu par tous les bénéficiaires du fonds, c'est à
dire un million de personnes, tandis que Robert Carlson a été
élu par les 321 000 retraités qu'il représente. Quant à
Bill Crist, le président de Calpers, c'est un professeur d'économie
de l'université publique de Stanislaus élu par les 255 000 salariés
de l'état californien.
Ensuite, le conseil d'administration veille à ce que l'argent de Calpers soit géré de la façon la plus transparente possible. La gestion de Calpers n'est pas directement mise entre les mains des syndicats comme peut l'être la gestion des caisses de retraites françaises. Les syndicats sont garants de l'indépendance de Calpers par l'influence qu'ils ont sur l'élection des administrateurs, mais ils ne siègent pas de plein droit au conseil d'administration. Pour éviter tout risque de collusion politique, Calpers vient même de voter l'interdiction à tous ses fournisseurs, y compris aux sociétés de gestion à qui il confie de l'argent, de financer les campagnes électorales des administrateurs.
Des
retraites protégées par la justice
Un des arguments souvent mis en avant par les adversaires des fonds de pension
est le risque de détournement de fonds par des employeurs sans scrupules,
comme dans le cas de l'affaire Maxwell, en Angleterre au début de la
décennie. Chez Calpers, les dirigeants sont élus par les bénéficiaires
du fonds de pension pour défendre leur retraite, même s'ils doivent
traîner leur employeur en justice.
En 1991, le gouvernement de Californie avait ainsi tenté de prendre le contrôle de Calpers. "En contrôlant la méthode de calcul des retraites il pouvait contrôler le coût de ces retraites et réduire ses cotisations patronales pour faire face à des difficultés budgétaires", explique Patricia Macht. Mais les syndicats ont fait voter une loi qui a donné au fonds de pension son indépendance totale en 1992. Les dirigeants de Calpers ont alors poursuivi le gouvernement californien en justice et obtenu le remboursement de 1,2 milliard de dollars de cotisations en retard. "Le jugement a établi que les cotisants de Calpers avaient non seulement droit aux retraites qui leur étaient promises, mais qu'ils avaient aussi droit à un système de retraite fondé sur des bases financières solides", poursuit la porte-parole du fonds de pension.
Les
Français n'ont aucun droit à la retraite
En d'autres termes, la justice a reconnu aux Américains leurs droits
à la retraite et a voulu protéger ces droits en affirmant qu'il
valait mieux ne pas laisser les employeurs calculer eux-mêmes les retraites
pour lesquels ils devaient cotiser. Un contraste saisissant par rapport à
l'insécurité juridique de nos retraites. En France, la réforme
du régime général de 1993, qui a réduit d'environ
25% nos droits à la retraite, a durement rappelé que les retraites
par répartition étaient des promesses en l'air. La justice française,
saisie sur cette affaire, a même réaffirmé que la sécurité
sociale peut changer ses méthodes de calcul comme bon lui semble et que
les Français n'ont pas de droit établi aux retraites pour lesquelles
ils cotisent. S'ils s'inspirent du modèle Calpers, les fonds de pension
à la française seront un progrès indéniable pour
nos retraites.
Gilles Pouzin, dans les coulisses à Sacramento.
Liste
de tableaux et annexes
Les
valeurs étrangères de Calpers
Les
valeurs françaises de Calpers
Les
dix principaux pays où investit Calpers
Les
gestionnaires externes de Calpers
Les
performances attendues par Calpers
Les
performances passées de Calpers
Quelle
protection en cas de faillite?